Page:Flora Tristan - Peregrinations d une paria, 1838, I.djvu/37

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

union, ils se marièrent clandestinement, et ce fut un prètre français émigré qui fit la cérémonie du mariage dans la maison qu’occupait ma mère. J’avais quatre ans lorsque je perdis mon père à Paris. Il mourut subitement, sans avoir fait régulariser son mariage, et sans avoir songé à y suppléer par des dispositions testamentaires. Ma mère n’avait que peu de ressources pour vivre et nous élever, mon jeune frère et moi ; elle se retira à la campagne, où je vécus jusqu’à l’âge de quinze ans. Mon frère étant mort, nous revînmes à Paris, où ma mère m’obligea d’épouser un homme[1] que je ne pouvais ni aimer ni estimer. À cette union je dois tous mes maux ; mais, comme depuis ma mère n’a cessé de m’en montrer le plus vif chagrin, je lui ai pardonné, et, dans le cours de cette narration, je m’abstiendrai de parler d’elle. J’avais vingt ans lorsque je me séparai de cet homme : il y en avait six, en 1833, que durait cette séparation, et quatre seulement que j’étais entrée en correspondance avec ma famille du Pérou.

J’appris, pendant ces six années d’isolement, tout ce qu’est condamnée à souffrir la femme séparée de son mari au milieu d’une société qui, par la plus absurde des contradictions, a conservé de vieux préjugés contre les femmes placées dans cette position, après avoir aboli le divorce et rendu presque impossible la séparation de corps. L’incompatibilité et mille autres motifs graves que la loi n’admet pas rendent nécessaire la séparation des époux ; mais la perversité, ne supposant pas à la femme des motifs qu’elle puisse avouer, la poursuit de ses in-

  1. M. André Chazal jeune, graveur en taille-douce et frère de M. A. Chazal, professeur au Jardin des Plantes.