Page:Flora Tristan - Peregrinations d une paria, 1838, I.djvu/380

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mon grand regret, que jamais avant, les idées de fausseté et de duplicité n’étaient entrées dans ma tête, et que sûrement mes pertes continuelles en commerce en étaient la suite. Depuis que, dans la bienheureuse Lima, j’ai été chaque jour en butte à tout ce que la bassesse, le mensonge et la lâcheté ont de plus hideux, mes idées ont changé, et dès ce temps je ne puis plus dater de véritables beaux jours, parce que j’ai perdu de ce qui les fait, ces beaux jours, une opinion favorable de nos semblables. Quand vous m’avez entendu fronder en Aristarque nos républicains, nos commerçants (classe dont je fais, hélas ! partie) et tant d’autres, je ne le faisais qu’à contre-cœur ; car enfin, en perdant l’idée du bien, on est toujours dans le vague, on craint de s’arrêter, de parler, d’épancher son cœur ; on croit toujours rencontrer un faux ami, un marchand fripon, un militaire lâche, enfin toujours le contraire du bien. Cette connaissance est triste : quand on la possède, on n’a plus d’illusions, et, sans illusions, la vie n’a plus de soleil. Eh bien ! tout ce savoir si nécessaire pour bien gouverner sa barque dans ce monde, c’est à Lima que je l’ai acquis ; aussi, en récompense, ai-je su apprécier ses habitants, et ai-je pu vous mettre en garde contre leurs attaques en grand.

« Tout en poursuivant la carrière du commerce, je l’abhorre, et suis si malheureux à Guayemas, loin de tout ce qui peut me plaire, que, sans la force de l’engagement qui me lie à Chabrié et sans la crainte de perdre en un mois le fruit de plusieurs années de travaux, j’aurais déjà abandonné une terre bien plus inhospitalière encore que l’aride Pérou. J’ai aujourd’hui atteint le comble de vœux en fait de fortune. Je supplie mon ami de ne pas