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pensée. À sept heures, M. Bertera vint me chercher en fiacre ; nous nous rendîmes, avec le reste de mes effets, au bateau à vapeur. De quelle foule de réflexions ne fus-je pas agitée pendant le court trajet de chez moi au port ? Le bruit croissant des rues annonçait le retour à la vie active ; je tenais la tête hors de la portière, avide de voir encore cette belle ville où, dans d’autres temps, j’avais passé des jours si calmes. Le souffle tiède de la brise arrivait sur mon visage ; je sentais une surabondance de vie, tandis que la douleur, le désespoir étaient dans mon ame : je ressemblais au patient qu’on mène à la mort ; j’enviais le sort de ces femmes qui venaient de la campagne vendre en ville leur lait, de ces ouvriers qui se rendaient au travail : témoin moi-même de mon convoi funèbre, je voyais peut-être pour la dernière fois cette population laborieuse. Nous passâmes devant le jardin public ; je dis adieu à ses beaux arbres. Avec quel sentiment de regret ne me rappelais-je pas mes promenades sous leur ombrage. Je n’osais regarder M. Bertera, tant je craignais qu’il ne lût dans mes yeux l’atroce douleur à laquelle j’étais en proie. Parvenue au bateau à vapeur, la vue de toutes ces personnes rassem-