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XIV
essai

On était sûr, au premier abord, que l’on voyait un honnête homme que la fortune avait respecté. Cette idée faisait plaisir et préparait doucement le cœur à l’attrait qu’il éprouvait bientôt pour cet honnête homme.

Il me reçut avec une bonté franche et polie, me fit asseoir près de lui, me pria de parler un peu haut, parce qu’il avait, me dit-il, le bonheur de n’être que sourd ; et, déjà prévenu par son neveu que je me donnais les airs d’être un fabuliste, il me demanda si j’aurais la complaisance de lui dire quelques-uns de mes apologues.

Je ne me fis pas presser ; j’avais déjà de la confiance en lui. Je choisis promptement celles de mes fables que je regardais comme les meilleures ; je m’efforçai de les réciter de mon mieux, de les parer de tout le prestige du débit, de les jouer en les disant ; et je cherchai dans les yeux de mon juge à deviner s’il était satisfait.

Il m’écoutait avec bienveillance, souriait de temps en temps à certains traits, rapprochait ses sourcils à quelques autres, que je notais en moi-même pour les corriger. Après avoir entendu une douzaine d’apologues, il me donna ce tribut d’éloges que les auteurs regardent toujours comme le prix de leur travail, et qui n’est souvent que le salaire de leur lecture. Je le remerciai, comme il me louait, avec une reconnaissance modérée, et ce petit moment passé nous commençâmes une conversation plus cordiale.

« J’ai reconnu dans vos fables, me dit-il, plusieurs sujets pris dans des fables anciennes ou étrangères.

— Oui, lui répondis-je, toutes ne sont pas de mon invention. J’ai lu beaucoup de fabulistes, et lorsque j’ai trouvé des sujets qui me convenaient, qui n’avaient pas été traités par La Fontaine, je ne me suis fait aucun scrupule de m’en emparer. J’en dois quelques-uns à Ésope, à Bidpaï, à Gay, aux fabulistes allemands, beaucoup plus à un Espagnol nommé Yriarte,