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Le Roi et les deux Bergers.


Certain monarque un jour déplorait sa misère,
Et se lamentait d’être roi :
Quel pénible métier ! disait-il : sur la terre
Est-il un seul mortel contredit comme moi ?
Je voudrais vivre en paix, on me force à la guerre ;
Je chéris mes sujets, et je mets des impôts ;
J’aime la vérité, l’on me trompe sans cesse ;
Mon peuple est accablé de maux,
Je suis consumé de tristesse :
Partout je cherche des avis,
Je prends tous les moyens, inutile est ma peine ;
Plus j’en fais, moins je réussis.
Notre monarque alors aperçoit dans la plaine
Un troupeau de moutons maigres, de près tondus,
Des brebis sans agneaux, des agneaux sans leurs mères.
Dispersés, bêlants, éperdus,
Et des béliers sans force errant dans les bruyères.
Leur conducteur Guillot allait, venait, courait :
Tantôt à ce mouton qui gagne la forêt,
Tantôt à cet agneau qui demeure derrière,
Puis à sa brebis la plus chère ;
Et tandis qu’il est d’un côté,
Un loup prend un mouton qu’il emporte bien vite
Le berger court, l’agneau qu’il quitte
Par une louve est emporté.
Guillot, tout haletant, s’arrête,
S’arrache les cheveux, ne sait plus où courir
Et, de son poing frappant sa tête,
Il demande au ciel de mourir.
Voilà bien ma fidèle image !
S’écria le monarque ; et les pauvres bergers,
Comme nous autres rois, entourés de dangers,
N’ont pas un plus doux esclavage :
Cela console un peu. Comme il disait ces mots,
Il découvre en un pré le plus beau des troupeaux,
Des moutons gras, nombreux, pouvant marcher à peine,
Tant leur riche toison les gêne,
Des béliers grands et fiers, tous en ordre paissants,
Des brebis fléchissant sous le poids de la laine,
Et de qui la mamelle pleine
Fait accourir de loin les agneaux bondissants.