Page:Focillon - Vie des formes, 1934.djvu/10

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d’accueillir tous ces possibles. C’est peut-être qu’ils sont en elle, mêlés. C’est un aspect de sa vie immortelle et, s’il est permis de parler ainsi, c’est l’éternité de son présent, la preuve de son abondance humaine, de son inépuisable intérêt. Mais à force de faire servir l’œuvre d’art à des fins particulières, on la destitue de son antique dignité, on lui retire le privilège du miracle. Cette merveille, à la fois hors du temps et soumise au temps, est-ce un simple phénomène de l’activité des cultures, dans un chapitre d’histoire générale, ou bien un univers qui s’ajoute à l’univers, qui a ses lois, ses matières, son développement, une physique, une chimie, une biologie, et qui enfante une humanité à part ? Pour en poursuivre l’étude, il serait nécessaire de l’isoler provisoirement. Ainsi nous aurions chance d’apprendre à la voir, car elle est d’abord combinée pour la vue, l’espace est son domaine, non l’espace de l’activité commune, celui du stratège, celui du touriste, mais l’espace traité par une technique qui se définit comme matière et comme mouvement. L’œuvre d’art est mesure de l’espace, elle est forme, et c’est ce qu’il faut d’abord considérer.

Balzac écrit dans un de ses traités politiques : « Tout est forme, et la vie même est une forme. » Non seulement toute activité se laisse discerner et définir dans la mesure où elle prend forme, où elle inscrit sa courbe dans l’espace et le temps, mais encore la vie agit essentiellement comme créatrice de formes. La vie est forme, et la forme est le mode de la vie. Les rapports qui unissent les formes entre elles dans la nature ne sauraient être pure contingence, et ce que nous appelons la vie naturelle s’évalue comme un rapport nécessaire entre les formes sans lesquelles elle ne serait pas. De même pour l’art. Les relations formelles dans une œuvre et entre les œuvres constituent un ordre, une métaphore de l’univers.

Mais en présentant la forme, comme la courbe d’une activité, nous nous exposons à deux dangers. D’abord celui de la dépouiller, de la réduire à un contour, à un diagramme. Nous devons