Page:Focillon - Vie des formes, 1934.djvu/58

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point de chercher à donner le change, si bien que, par un renversement singulier, la nature est pour eux pleine d’objets d’art et l’art plein de curiosités naturelles. Ainsi la rocaille de leurs précieux jardinets, choisie avec toutes sortes de soins, paraît travaillée par le caprice des plus ingénieuses mains, et leur céramique de grès semble moins l’œuvre d’un potier qu’une concrétion merveilleuse élaborée par le feu et par des hasards souterrains. En dehors de cette émulation captivante, de ces échanges qui cherchent l’artifice au cœur de la nature et qui mettent le travail secret de la nature au cœur de l’invention humaine, ils ont été les artisans des matières les plus rares, les plus libres de tout modèle. Il n’existe rien dans le monde végétal ou le monde minéral qui suggère ou qui rappelle les laques, leur froide densité, leur nuit lisse, sur laquelle glisse une ténébreuse lumière ; elles viennent de la résine d’un certain pin, travaillée et polie longtemps, dans des huttes construites au-dessus des cours d’eau, à l’abri de toute poussière. La matière de leur peinture, qui tient à la fois de l’eau et de la fumée, n’est plus ni l’une ni l’autre, puisqu’elle possède le secret contradictoire de les fixer sans qu’elles cessent d’être fluides, impondérables et mobiles. Mais cette sorcellerie qui nous frappe et qui nous charme, venant de très loin, n’est pas plus captieuse, ni plus inventive, que le travail de l’Occident sur les matières de l’art. Les techniques précieuses, auxquelles nous serions tentés d’emprunter d’abord nos exemples, n’offrent peut-être, à cet égard, rien de comparable aux ressources de la peinture à l’huile. C’est là, sans doute, dans un art apparemment voué à l’ « imitation », qu’apparaît le mieux ce principe de non-imitation, cette originalité créatrice qui, des matériaux fournis par la nature, extrait le matériel et la substance d’une nature nouvelle, et qui ne cesse pas de se renouveler. Car la matière d’un art n’est pas une donnée fixe, acquise pour toujours : dès ses débuts, elle est transformation et nouveauté, puisque l’art, comme une opération chimique, éla-