Page:Focillon - Vie des formes, 1934.djvu/73

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et sans relief du sentiment, il casse les vieux moules verbaux, il brouille l’échiquier de la logique, mais ces émeutes et ces tumultes de l’esprit n’ont pas d’autre objet que d’inventer des formes nouvelles, ou plutôt leur activité brouillée et confuse est encore une opération sur les formes, un phénomène formel. Nous sommes profondément convaincu qu’il serait possible et utile d’instituer sur ces bases une méthode psychographique, peut-être même en utilisant les notions relatives à la technique et à la touche que nous venons de mettre en lumière. L’artiste développe sous nos yeux la technique même de l’esprit, il nous en donne une sorte de moulage que nous pouvons voir et toucher.

Mais son privilège n’est pas seulement d’être un exact et habile mouleur. Il ne fabrique pas une collection de solides pour un laboratoire de psychologie, il crée un monde, complexe, cohérent, concret, et, du fait que ce monde est en espace et en matière, ses mesures et ses lois ne sont plus uniquement celles de l’esprit en général, mais des mesures et des lois particulières. Peut-être sommes-nous, dans le secret de nous-mêmes, des espèces d’artistes sans mains, mais le propre de l’artiste est d’en avoir, et la forme en lui est toujours aux prises avec elles. Elle est toujours, non le vœu de l’action, mais l’action. Elle ne saurait s’abstraire de la matière et de l’espace, et, comme nous essaierons de le montrer, avant même d’en avoir pris possession, elle y vit déjà. C’est là sans doute ce qui distingue l’artiste de l’homme ordinaire et, plus encore, de l’intellectuel. L’homme ordinaire n’est pas un dieu créateur de mondes séparés, il n’est pas spécialisé dans l’invention et la fabrication de ces utopies spatiales, de ces jouets fabuleux, mais il conserve une sorte d’innocence, qui peut d’ailleurs être fanée par ce qu’on appelle le goût. L’intellectuel a une technique, qui n’est pas la technique de l’artiste et qui ne la respecte pas, car elle tend nécessairement à conformer toute activité aux procédés de l’intelligence discursive. Au moment où nous essayons de définir avec précision ce que la