Page:Focillon - Vie des formes, 1934.djvu/77

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mais qu’il éveille dans la sensibilité la forme. Mais où que nous nous placions, c’est toujours à la forme qu’il faut en venir. Si nous nous proposions, ce qui n’est pas notre but, d’instituer une psychologie de l’artiste, nous aurions à analyser une imagination, une mémoire, une sensibilité et un intellect formels, à définir tous les procédés par lesquels la vie des formes dans l’esprit propage un prodigieux animisme qui, prenant pour support les choses naturelles, les rend imaginaires, souvenues, pensées et sensibles — nous verrions que ce sont des touches, des accents, des tons et des valeurs. La définition baconienne de l’homo additus naturæ est vague et incomplète, car il ne s’agit pas seulement de l’homo quelconque, de l’homme en général, et il ne s’agit pas non plus d’une nature séparée de lui, l’accueillant avec une passivité invincible. Entre ces deux termes la forme intervient. L’homme en question, l’homme dont il s’agit forme cette nature ; avant de s’emparer d’elle, il la pense, la sent, la voit forme. L’aquafortiste la voit à l’eau-forte et choisit en elle ce qui peut lui être déjà faveur technique, — Rembrandt, la lanterne d’écurie qu’il promène sur les profondeurs de la Bible ; Piranèse, le clair de lune romain dont il alterne, sur les ruines, les rayons et les ombres, et, comme il fut peintre de théâtre, il ne saurait, dans les heures du jour, en trouver aucune qui favorise à ce point les artifices et le vertige de la perspective théâtrale. Le peintre des valeurs chérit la brume et la pluie qui les accordent et voit toute chose à travers un rideau mouillé, tandis que le coloriste Turner contemple le soleil, décuplé, réfracté, mouvant, dans son verre d’eau d’aquarelliste.

Mais n’est‑ce pas supposer que la vie des formes dans l’esprit est régie avec une constance rigoureuse et parfaite, qu’il s’y exerce une prédestination inflexible, qui aurait pour effet de déterminer à côté de l’homme une autre espèce humaine, aménagée d’une façon particulière, vouée à son destin, comme peut l’être une espèce animale entre d’autres espèces ? Les rapports de la