Page:Focillon - Vie des formes, 1934.djvu/92

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

défendus sont ouverts à des infiltrations, à des invasions. Même la constance des signes anthropologiques n’entraîne pas l’immutabilité des valeurs. L’homme travaille sur lui. Sans doute il n’annule pas ces antiques dépôts du temps. Il faut en tenir compte. Ils constituent, non une armature, non un socle, mais plutôt une tonalité. Ils font intervenir dans l’équilibre complexe d’une culture des inflexions, des accents, pareils à ceux qui caractérisent le parler d’une langue. Il est vrai que parfois l’art leur prête un relief étrange. Ils surgissent comme des blocs erratiques, témoins du passé, dans un paysage devenu paisible. On peut admettre que certains artistes sont particulièrement « ethniques », mais ce sont des cas, et non un fait constant. C’est que l’art se fait dans le monde des formes et non dans la région indéterminée des instincts. Le fait d’arracher au demi-jour de la vie psychologique l’instinct d’une œuvre suppose une foule de contacts nouveaux et l’empire de données nouvelles. La vocation formelle joue, les affinités s’enchaînent, l’artiste rejoint son groupe. Dans la race la plus fortement liée, comment nier qu’il existe une grande diversité de familles spirituelles, qui superposent leur réseau à celui des races elles-mêmes ? Et l’artiste n’appartient pas seulement à une famille spirituelle et à une race, il appartient encore à une famille artistique, car il est homme qui travaille les formes et que les formes travaillent à leur tour.

Ainsi s’impose à nous une limitation prudente, ou plutôt un déplacement des valeurs. Mais n’est-il pas vrai que certaines régions de l’art, où l’effort est plus docile à la tradition et à l’esprit des collectivités, montrent des relations plus étroites entre l’homme et son groupe ethnique, par exemple l’ornement, les arts populaires ? Certains blocs formels ne sont-ils pas la langue authentique de certaines races ? N’y a-t-il pas dans l’entrelacs l’image et le signe d’un mode de pensée propre aux peuples du Nord ? Mais l’entrelacs, et, d’une façon plus générale, le vocabu-