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LA FORÊT DE NAVARRE.

Tes champs, tes ateliers m’offrent de toutes parts
La mère des moissons, la nourrice des arts ;
Ton noble front aussi se couronne de villes,
Et, même à ces lions que le frein rend dociles,
Je reconnais les mœurs du Normand indompté
Dont ta douce influence amollit la fierté.
Mais, en domptant ses mœurs, tu gardas sa vaillance.
Un illustre bâtard de tes rives s’élance,
La Tamise en frémit : elle a changé de lois,
Et le fer du vainqueur a fait seul tous ses droits.
Tes Robert, tes Guiscard, aux murs de Parthénope,
De fabuleux exploits ont étonné l’Europe ;
Trois de tes chevaliers fondent seuls un état ;
Ton peuple est laboureur, artisan et soldat,
Et reprend dans sa main, sans relâche occupée,
Le soc ou la navette, ou la rame ou l’épée.
C’est peu d’être guerrier, tout Français est vaillant ;.
Le ciel t’apprête encor un laurier plus brillant :
Le goût et les beaux vers sont nés sur ton rivage.
Une Muse autrefois naïve, mais sauvage,
Errante sur les pas de nos vieux ménestrels,
De quelques airs sans art égaya les châtels.
Son langage était rude et son port sans noblesse.
Ses élégantes sœurs de Rome et de la Grèce
Refusaient de l’admettre à leurs jeux favoris,
Et souvent à sa voix insultaient par des ris.
Un jour (c’était leur fête) elle fut éloignée ;
Vers les champs neustriens, la Muse dédaignée
Aux rivages de l’Orne en pleurant vint s’asseoir ;
Elle se vit dans l’onde, et rougit de se voir.