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LE VIEUX CHÂTEAU.

Tout bas, à ces accents, s’attendrit et soupire
La fille des barons, des nobles châtelains ;
Le rapide fuseau s’arrête sous ses mains ;
Il tombe, elle est charmée, un désir qu’elle ignore
S’ouvre, à l’aide du chant, son âme vierge encore.
Le troubadour ému l’entend plus d’une fois
Gémir, redemander, d’une tremblante voix,
Les noms de ces héros fiers de leur doux servage,
Raoul, et Gabrielle, et l’amoureux breuvage
Dont Yseult et Tristan s’enivrèrent jadis,
L’inconstant Galaor, le fidèle Amadis.
Déjà, sans le savoir, elle aime le poète ;
Déjà tous deux, cherchant et l’ombre et la retraite,
Comme Yseult et Tristan, s’enchaînent sans retour,
Et l’amour a payé les chansons de l’amour.

 Dirai-je les géants, les monstres, les fantômes,
Qui gardaient les châteaux ou volaient sous leurs dômes ?
Des mains d’un enchanteur, ce pont inattendu
Sur un profond abime est soudain suspendu.
Les bois ont leurs démons, l’air à ses colonies.
Où suis-je ? Alcine ordonne aux esprits, aux génies,
D’embarrasser mes pas dans les mille chemins
Du merveilleux séjour élevé par ses mains.
Aux rayons de la lune, ici, venaient les fées,
Entre les boucliers, les armes, les trophées,
S’asseoir, chanter souvent sur une vieille tour,
Et les jeux des latins résonnaient à l’entour.
L’air qui frémit du son de leur aile argentée,
Et leur danse magique, et leur voix enchantée,