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M. DE FONTANES

« Que dire alors du ministre ottoman et de celui de Sa Sainteté, qui sont reçus le même jour au Directoire, qui se visitent fraternellement, et qui s’amusent à l’Opéra français, à nos jardins de Bagatelle et de Tivoli, tandis qu’on s’occupe en secret du sort de Rome et de Constantinople.

« En vérité, brave général, vous devez bien rire quelquefois, du haut de votre gloire, des cabinets de l’Europe et des dupes que vous faites.

« Vous préparez de mémorables événements à l’histoire. Il faut l’avouer, si les rentes étaient payées, et si on avait de l’argent, rien ne serait plus intéressant au fond que d’assister aux grands spectacles que vous allez donner au monde. L’imagination s’en accommode fort, si l’équité en murmure un peu.

« Une seule chose m’embarrasse dans votre politique. Vous créez partout des constitutions républicaines. Il me semble que Rome, dont vous prétendez ressusciter le génie, avait des maximes toutes contraires. Elle se gardait d’élever autour d’elle des républiques rivales de la sienne. Elle aimait mieux s’entourer de gouvernements dont l’action fût moins énergique, et fléchit plus aisément sous sa volonté. Souvenons-nous de ces vers d’une belle tragédie :

Ces lions, que leur maître avait rendus plus doux,
Vont reprendre leur rage et s’élancer sur nous ;
....................
Si Rome est libre enfin, c’est fait de l’Italle, etc.


« Mais peut-être avez-vous là-dessus, comme sur tout le reste, votre arrière-pensée, et vous ne me la direz pas.

« J’ai cru pouvoir citer des vers dans une lettre qui vous est adressée : vous aimez les lettres et les arts. C’est un nouveau compliment à vous faire. Les guerriers instruits sont humains ; je souhaite que le même goût se communique à tous vos lieutenants qui savent se battre aussi bien que vous. On dit que