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ŒUVRES DE FONTANES.


 L’art du grand politique est-il moins hasardeux ?
Vois-les tous, lents, discrets, cruels avec sagesse,
Épier l’imprudence et saisir la faiblesse :
Souvent à leurs rivaux leurs triomphes sont dus.
Voilà donc vos succès, grands hommes prétendus !
Politiques vantés, conquérants qu’on admire,
Vous ne savez jamais que tromper ou détruire !
Celui-là seul est grand, et seul est respecté,
Qui dans tous ses projets consulte l’équité,
Qui voit d’un œil serein l’exil et l’esclavage,
Soit qu’avec Marc-Aurèle il règne comme un sage,
Soit qu’il porte à sa bouche un breuvage mortel,
Et meure avec Socrate en regardant le ciel.

 Toi-même, ô renommée ! ô pompeuse chimère !
Qu’es-tu pour le grand homme ? une vie étrangère,
Qui, même avant la mort, existe loin de lui,
Et respire toujours sur les lèvres d’autrui.
La gloire a des attraits : mais, pour qu’on en jouisse,
Il faut qu’autour de nous son murmure frémisse.
Un éloge ignoré n’est rien pour le bonheur.
Et qu’importe, après toi, qu’un monde admirateur,
Milord, en s’opposant à l’orateur de Rome,
Cherche qui de vous deux s’est montré plus grand homme ?
Dans un cercle borné d’amis et de rivaux,
Naît et meurt ce vain nom qu’achètent nos travaux.
La foule aveugle ignore ou ne connait qu’à peine
Ce qui vit ou n’est plus, soit César, soit Eugène ;
Soit qu’il dompte en vainqueur, ou soit qu’il ait dompté
Le fatal Rubicon, le Rhin épouvanté.