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ESSAI SUR L’HOMME.

Telle, au milieu des flots, l’orgueilleuse Venise
Des fanges d’un marais s’élève avec splendeur :
On voit marcher de front leur crime et leur grandeur.

 Les lauriers de l’Europe en vain couvrent leurs têtes :
Le sang et l’avarice ont souillé leurs conquêtes.
Tour à tour vils brigands, ou féroces bourreaux.
Indignes du nom d’homme, ils s’appellent héros ;
Et d’intrige épuisés, ou perdus de mollesse,
Sous le poids de la haine ils trainent leur vieillesse.
Faux éclat ! vains honneurs ! triomphes imparfaits !
Ah ! gémis sur leur gloire en comptant leurs forfaits !
Suis ces héros mourants ; l’heure fatale arrive ;
Le vœu de l’univers hâtait leur fin tardive ;
Dans le dernier sommeil s’élèvent autour d’eux
Tous leurs crimes, pareils à des spectres hideux ;
Le remords les punit de leur gloire passée ;
Et des songes affreux peignent à leur pensée
Une femme hautaine, un avide mignon,
Usurpant ces palais encor pleins de leur nom.
Hélas ! à leur midi, sans ombre, sans tempêtes,
Ces astres de la cour rayonnaient sur nos têtes !
Mais quelle obscurité suit l’éclat de leurs feux !
Que l’aurore en est pâle et le soir ténébreux !
Ils meurent : tout s’efface, et de forfaits ternie
Leur grandeur disparaît dans leur ignominie.

 Homme, sois convaincu de cette vérité,
Que dans la vertu seule est la félicité !
Seule elle trouve en soi sa propre récompense ;