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PAROLES DE BONNET.

lac, entre les sommets des Alpes et du Jura. Il me parla d’abord avec admiration de l’abbé de l’Épée, dont M. Sicard a recueilli la gloire et perfectionné la découverte. Il me montra ensuite quelques fragments de correspondance avec le savant Mosès, juif de Berlin. et l’un des plus subtils métaphysiciens de ce siècle. Enfin la conversation tomba sur les illuminés. Il ne me déguisa point que des hommes illustres de la Suisse étaient atteints de ce délire. J’osai lui en demander la cause. Voici à peu près quelle fut sa réponse :

« La philosophie moderne, me dit-il, a ébranlé les fondements de toutes les croyances religieuses. L’esprit humain, arraché imprudemment aux opinions sur lesquelles il reposait depuis tant de siècles, ne sait plus où se prendre et où s’arrêter. L’absence de la religion laisse un vide immense dans les pensées et dans les affections de l’homme, et celui-ci, toujours extrême, le remplit des plus dangereux fantômes à la place d’un merveilleux sage et consolant adapté à nos premiers besoins ; ainsi l’homme, en devenant incrédule, n’en sera que plus aisément précipité dans la superstition : il portera jusque dans l’athéisme même le besoin des idées religieuses, qui est une partie essentielle de son être, et qui doit toujours faire son bonheur ou son tourment ; il abusera de ses propres sciences en y mêlant les plus monstrueuses rêveries ; il divinisera les effets physiques et les énergies de la nature ; on le verra peut-être retomber dans un