Page:Fontanes - Œuvres, tome 2.djvu/191

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
188
ŒUVRES DE FONTANES.

rôle est toujours bornée ; mais l’imagination qui est infinie attache aux signes, aux gestes, aux symboles qu’elle explique à son gré, des expressions infinies comme elle.

Madame de Staël croit que les dogmes religieux rappelés dans tous les actes de la vie humaine gênent les mouvements de l’âme. Les grands poëtes ne pensent pas comme elle ; il faut se borner dans le choix des exemples ; je n’en citerai qu’un seul.

Andromaque, exilée en Épire, invoque les mânes d’Hector, près d’un tombeau de gazon qu’elle lui a dressé de ses mains au fond d’un bois sacré ; elle y verse des libations, elle y dépose les dons funèbres : tout ce qui l’entoure la rappelle à sa douleur. Elle a nommé les ruisseaux voisins le Simoïs et le Xanthe, elle a figuré plus loin les portes de Scée, où son époux la quitta pour la dernière fois. Au moment même Énée paraît : Andromaque croit voir revenir Énée de ce monde inconnu où le héros qu’elle pleure habite et l’attend ; elle ne jette qu’un cri : Hector ubi est ? où est Hector ? sa voix expire, et elle tombe évanouie. Je ne crois pas que le sentiment ait jamais fait entendre un cri plus sublime que ces trois mots d’Andromaque. Mais à quoi tient leur effet ? à tout ce qui les a précédés. Si elle n’offrait point un sacrifice au tombeau de son époux, si le poëte ne l’avait pas entourée des tableaux de la mort et des perspectives de l’immortalité ; s’il ne l’avait pas d’avance placée entre la terre et le ciel, entre le monde où elle a perdu Hector et le monde où elle veut le rejoindre, ce