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PRÉLIMINAIRE.

hormis le mal qui sort du cœur du méchant. » Si l’Être suprême est sensible à nos hommages, jamais les temples que lui a consacrés l’univers ne l’ont honoré comme cette sublime pensée.

Après l’analyse détaillée que je viens de faire de l’Essai sur l’Homme, je me crois dispensé de l’embrasser sous un coup d’œil plus général. Le lecteur, que j’ai conduit pas à pas sur les traces de Pope, peut juger son ouvrage et son talent. Jamais la poésie ne fit une alliance plus utile et plus honorable avec la philosophie. Ce serait peut-être ici le lieu d’examiner si, dans ce commerce, elle a perdu quelques-uns de ses charmes, remplacé la grâce par la roideur, et les images par la sécheresse. C’est du moins le reproche que lui ont fait certains critiques dans ces derniers temps. Il est aisé de leur répondre que la philosophie étroite et bornée des esprits froids. qui usurpent mal à propos le nom d’esprits justes, doit nécessairement détruire l’éloquence et l’art des vers ; mais que la grande, la véritable philosophie, celle qui embrasse les rapports de l’homme avec la nature et ses semblables, doit étendre et féconder l’imagination et la sensibilité. Cette philosophie appartint à tous les poëtes qui en méritèrent le litre, depuis Homère jusqu’à Pope ; et, si j’ose le dire, elle ne fut pas connue de plusieurs philosophes modernes. On ne peut être qu’un frivole versificateur, si on ne réunit une tête pensante En une âme sensible ; et de même on n’est qu’un médiocre philosophe, sans imagination : car les idées primitives, dans les arts et