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Page:Fontanes - Œuvres, tome 2.djvu/277

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ŒUVRES DE FONTANES.

jours conserver une portion de sang-froid pour observer et mesurer sa marche ; l’autre semble avoir l’ivresse même des passions quelle peint : elle est forcée de leur obéir, et se précipite comme elles avec leur négligence et leur abandon. Voltaire a de plus communiqué à cette langue une partie du luxe de son esprit, peut-être un peu conforme à celui de son siècle : il détache plus ses idées du fond général, et les met plus en relief : souvent ses vers sortent de la ligne pour s’attirer une attention particulière, au lieu que, dans Racine, les vers marchent tous ensemble, sous une discipline égale qui ne permet à aucun de se faire remarquer aux dépens de la troupe entière. Enfin, il a beaucoup plus multiplié que ses prédécesseurs l’usage des figures et des images dans la tragédie, sorte de beauté qui appartient plus à l’épopée et à l’ode qu’au genre dramatique. Mais, par ce défaut même, il a étendu notre langue poétique, appauvrie et resserrée dans son commerce habituel avec le théâtre. C’est ainsi qu’en politique, quelquefois de grands hommes se permettent de violer des lois particulières, dont l’infraction même, sous d’autres points de vue, tourne au bien général de l’État. Une circonstance qui, dans Voltaire, a favorisé cette richesse de couleurs et souvent la rend nécessaire, c’est la multitude de nations et d’époques différentes qu’il a peintes dans son théâtre : Grecs, Romains, Arabes, Ottomans, Chinois, Tartares, Espagnols, sauvages du Nouveau-Monde ; mœurs de la chevalerie, grandeur asiatique des anciens empires de l’Orient ; merveilleux de la fatalité dans Œdipe, dans Oreste ; merveilleux sombre et terrible des tombeaux et de la religion dans Sémiramis ; dans Mahomet, établissement d’un culte nouveau sous un climat brûlant où les têtes sont créées pour l’enthousiasme, et où le langage même fait déjà la moitié du fanatisme ; dans Brutus, époque de l’austérité républicaine ; dans la Mort de César, époque de la lutte du despotisme et de la liberté ; dans Rome sauvée ou Catilina, génie du crime dans la conjuration, opposé au génie de la vertu ; dans Zaïre enfin, époque des croisades, lutte de deux religions et de l’Europe contre l’Asie. Le génie de Voltaire le portait naturellement aux contrastes ; il cherchait toujours les contrastes d’expressions, les contrastes d’idées, les contrastes de sentiments, et, dans plusieurs de ses belles tragédies, il a fait contraster les mœurs de deux peuples opposés l’un à l’autre. L’effet naturel des contrastes est de faire sortir les idées, les couleurs, et de leur donner plus de jeu : mais quand les