Page:Fontanes - Œuvres, tome 2.djvu/73

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
70
ŒUVRES DE FONTANES.

Cédons à la nature : elle seule est certaine.
Avec la passion, de nos cœurs souveraine,
La raison complaisante en paix doit s’accorder.
Et l’escorter de près plutôt que la guider.
Utile passion ! l’Éternel nous la donne
Pour conduire chaque être à la fin qu’il ordonne.
Tous nos autres désirs sont des flots inconstants ;
C’est elle au même bord qui nous pousse en tout temps
Des arts ou des grandeurs que l’amour nous dévore,
Ou l’amour du repos, souvent plus vif encore,
Même au prix de ses jours l’homme suit son penchant.
L’indolent philosophe et l’avide marchand,
Le superbe guerrier, le moine sans courage,
Chacun de la raison croit avoir le suffrage.

 Tirant le bien du mal, Dieu sait associer
Nos plus nobles vertus à ce penchant grossier ;
Ce penchant les nourrit, et par elles s’épure.
Lui seul du cœur hmnain, plus vif que le mercure,
Fixe au même degré les mobiles humeurs,
Forme en nous l’habitude et nous donne nos mœurs.
En se mêlant à tout, il rend tout plus solide,
Et de l’âme et du corps, dont il est le seul guide,
Joint dans un seul objet la double volonté.

 Vois ce dur sauvageon, surpris d’être dompté :
On le greffe avec art, et sa tige robuste
De ses sucs amollis féconde un doux arbuste.
Ainsi la passion, maîtresse de nos sens,
Des vertus qu’elle adopte accroît les fruits naissants.