Page:Fontenelle - Œuvres de Fontenelle, Tome I, 1825.djvu/338

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détermina au dernier parti, et aussitôt il en ouvrit des coins publics dans la rue Galande où il se logea. Son laboratoire était moins une chambre qu’une cave, et presque un antre magique éclairé de la seule lueur des fourneaux ; cependant l’affluence du monde y était si grande, qu’à peine avait-il de la place pour ses opérations. Les noms les plus fameux entrent dans la liste de ses auditeurs, les Rohaut, les Bernier, les Auzout, les Regis, les Tournefort. Les dames même, entraînées par la mode, avaient l’audace de venir se montrer à des assemblées si savantes. En même temps du Verney faisait des cours d’anatomie avec le même éclat, et toutes les nations de l’Europe leur fournissaient des écoliers. En une année entre autres on compta jusqu’à quarante Écossais, qui n’étaient venus à Paris que pour entendre ces deux maîtres, et qui s’en retournèrent dès que leurs cours furent finis. Comme Lemery prenait des pensionnaires, il s’en fallait beaucoup que sa maison fût assez grande pour loger tous ceux qui le voulaient être, et les chambres du quartier se remplissaient de demi-pensionnaires qui voulaient du moins manger chez lui. Sa réputation avait encore une utilité très considérable ; les préparations qui sortaient de ses mains étaient en vogue : il s’en faisait un débit prodigieux dans Paris et dans les provinces ; et le seul magistère de bismuth suffisait pour toute la dépense de la maison. Ce magistère n’est pourtant pas un remède ; c’est ce qu’on appelle du blanc d’Espagne. Il était seul alors dans Paris qui possédât ce trésor.

La chimie avait été jusques-là une science, où, pour emprunter ses propres termes, un peu de vrai était tellement dissous dans une grande quantité de faux, qu’il