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DIALOGUE III.

CANDAULE, GIGÈS.


CANDAULE.

Plus j’y pense, et plus je trouve qu’il n’était point nécessaire que vous me fissiez mourir.

GIGÈS.

Que pouvais-je faire ? Le lendemain que vous m’eûtes fait voir les beautés cachées de la reine, elle m’envoya quérir, me dit qu’elle s’était aperçue que vous m’aviez fait entrer le soir dans sa chambre, et me fit, sur l’offense qu’avait reçue sa pudeur, un très beau discours, dont la conclusion était qu’il fallait me résoudre à mourir, ou a vous tuer, et à l’épouser en même temps ; car, à ce qu’elle prétendait, il était de son honneur, ou que je possédasse ce que j’avais vu, ou que je ne pusse jamais me vanter de l’avoir vu. J’entendis bien ce que tout cela voulait dire. L’outrage n’était pas si grand, que la reine n’eût bien pu le dissimuler ; et son honneur pouvait vous laisser vivre, si elle eût voulu : mais franchement elle était dégoûtée de vous, et elle fut ravie d’avoir un prétexte de gloire pour se défaire de son mari. Vous jugez bien que dans l’alternative qu’elle me proposait, je n’avais qu’un parti à prendre.

CANDAULE.

Je crains fort que vous n’eussiez pris plus de goût pour elle, qu’elle n’avait de dégoût pour moi. Ah ! que j’eus tort de ne pas prévoir l’effet que sa beauté ferait sur vous, et de vous prendre pour un trop honnête homme.