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autres à perfectionner les sens. Je vous eusse prié de travailler pour le sens du goût, et d’imaginer quelque instrument qui augmentât le plaisir de manger.

GALILÉE.

Fort bien, comme si le goût n’avait pas naturellement toute sa perfection.

APICIUS.

Pourquoi l’a-t-il plutôt que la vue ?

GALILÉE.

La vue est aussi très parfaite. Les hommes ont de fort bons yeux.

APICIUS.

Et qui sont donc les mauvais yeux auxquels vos lunettes peuvent servir ?

GALILÉE.

Ce sont les yeux des philosophes. Ces gens là, à qui il importe de savoir si le soleil a des taches, si les planètes tournent sur leur centre, si la voie de lait est composée de petites étoiles, n’ont pas les yeux assez bons pour découvrir ces objets aussi clairement et aussi distinctement qu’il faudrait ; mais les autres hommes, à qui tout cela est indifférent, ont la vue admirable. Si vous ne voulez que jouir des choses, rien ne vous manque pour en jouir ; mais tout vous manque pour les connaître. Les hommes n’ont besoin de rien, et les philosophes ont besoin de tout. L’art n’a point de nouveaux instrumens à donner aux uns, et jamais il n’en donnera assez aux autres.

APICIUS.

Je consens que l’art ne donne pas au commun des hommes de nouveaux instrumens pour mieux manger ; mais je voudrais qu’il en donnât aux philosophes,