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faire des préjugés de l’esprit, pour penser en homme sage.

RAPHAËL D’URBIN.

Il vaut mieux les conserver tous. Vous ignorez apparemment les deux réponses de ce vieillard Samnite, à qui ceux de sa nation envoyèrent demander ce qu’ils avaient à faire, quand ils eurent enfermé dans le pas des Fourches Caudines toute l’armée des Romains, leurs ennemis mortels, et qu’ils furent en pouvoir d’ordonner souverainement de leur destinée. Le vieillard répondit que l’on passât au fil de l’épée tous les Romains. Son avis parut trop dur et trop cruel, et les Samnites renvoyèrent vers lui pour lui en représenter les inconvéniens. Il répondit que l’on donnât la vie à tous les Romains sans condition. On ne suivit ni l’un ni l’autre conseil, et on s’en trouva mal. Il en va de même des préjugés ; il faut les conserver tous, ou les exterminer tous absolument. Autrement, ceux dont vous vous êtes défait vous font entrer en défiance de toutes les opinions qui vous restent. Le malheur d’être trompé sur bien des choses, n’est pas récompensé par le plaisir de l’être sans le savoir ; et vous n’avez ni les lumières de la vérité, ni l’agrément de l’erreur.

STRATON.

S’il n’y a pas de moyen d’éviter l’alternative que vous proposez, on ne doit pas balancer à prendre son parti. Il faut se défaire de tous ses préjugés.

RAPHAËL D’URBIN.

Mais la raison chassera de notre esprit toutes ces anciennes opinions, et n’en mettra pas d’autres en la place. Elle y causera une espèce de vide. Et qui peut le soutenir ? Non, non, avec aussi peu de raison qu’en ont