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Page:Fontenelle - Œuvres de Fontenelle, Tome IV, 1825.djvu/60

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SOLIMAN.

Comment en êtes-vous si sûre ?

JULIETTE DE GONZAGUE.

C’est que je sais que vous n’eussiez pas fait le mien.

SOLIMAN.

Je n’entends pas bien la conséquence. Qu’importe que j’eusse fait votre bonheur ou non ?

JULIETTE DE GONZAGUE.

Quoi ! vous concevez qu’on puisse être heureux en amour par une personne que l’on ne rend pas heureuse ? Qu’il y ait, pour ainsi dire, des plaisirs solitaires qui n’aient pas besoin de se communiquer, et qu’on en jouisse quand on ne les donne pas ? Ah ! ces sentimens font horreur à des cœurs bien faits.

SOLIMAN.

Je suis Turc ; il me serait pardonnable de n’avoir pas toute la délicatesse possible. Cependant, il me semble que je n’ai pas tant de tort. Ne venez-vous pas de condamner bien fortement la vanité ?

JULIETTE DE GONZAGUE.

Oui.

SOLIMAN.

Et n’est-ce pas un mouvement de vanité, que de vouloir faire le bonheur des autres ? N’est-ce pas une fierté insupportable de ne consentir que vous me rendiez heureux, qu’à condition que je vous rendrai heureuse aussi ? Un sultan est plus modeste ; il reçoit du plaisir de beaucoup de femmes très aimables, à qui il ne se pique point d’en donner. Ne riez point de ce raisonnement ; il est plus solide qu’il ne vous paraît. Songez-y ; étudiez le cœur humain, et vous trouverez que cette