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Page:Fontenelle - Pages choisies, Potez, 1909.djvu/125

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ouvrage, et que nous nous y complaisions. Les maux imaginaires ne sont pas tous ceux qui n'ont rien de corporel, et ne sont que dans l'esprit ; mais seulement ceux qui tirent leur origine de quelque façon de penser fausse, ou du moins problématique. Ce n'est pas un mal imaginaire que le déshonneur ; mais c'en est un que la douleur de laisser de grands biens après sa mort à des héritiers, en ligne collatérale et non pas en ligne directe, ou à des filles, et non pas à des fils. Il y a tel homme dont la vie est empoisonnée par un semblable chagrin. Le bonheur n'habite point dans des têtes de cette trempe ; il lui en faut ou qui soient naturellement plus saines, ou qui aient eu le courage de se guérir. Si l'on est susceptible des maux imaginaires, il y en a tant, qu'on sera nécessairement la proie de quelqu’un. La principale force de des sortes de monstres consiste en ce qu'on s'y soumet, sans oser ni les attaquer, ni même les envisager : si on les considérait quelque temps d'un œil fixe, ils seraient à demi vaincus.

Assez souvent aux maux réels nous ajoutons des circonstances imaginaires qui les aggravent. Qu'un malheur ait quelque chose de singulier, non seulement ce qu’il a de réel nous afflige, mais sa singularité nous irrite et nous aigrit. Nous nous représentons une fortune, un destin, je ne sais quoi, qui met de l’art et de l'esprit à nous faire un malheur d'une nature particulière. Mais qu'est-ce que tout cela ? employons un peu notre raison, et ces fantômes disparaissent. Un malheur commun n'en est pas réellement moindre ; un malheur singulier n'en est pas moins possible, ni moins inévitable. Un homme qui a la peste, lui cent millième, est-il moins à plaindre que celui qui a une maladie bizarre et inconnue ?

Il est vrai que les malheurs communs sont prévus ; et cela seul nous adoucit l'idée de la mort, le plus