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Page:Fontenelle - Pages choisies, Potez, 1909.djvu/135

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et le pourrait-il, quelque vertueux qu'il fût ? mais comme on s'aime toujours assez, il suffit d'y pouvoir rentrer sans honte pour y rentrer avec plaisir.

Il peut fort bien arriver que la vertu ne conduise ni à la richesse ni à l'élévation, et qu'au contraire elle en exclue : ses ennemis ont de grands avantages sur elle par rapport à l'acquisition de ces sortes de biens. Il peut encore arriver que la gloire, sa récompense la plus naturelle, lui manque : peut-être s'en privera-t-elle elle-même ; du moins, en ne la recherchant pas, hasardera-t-elle d’en être privée. Mais une récompense infaillible pour elle, c'est la satisfaction intérieure. Chaque devoir rempli en est payé dans le moment : on peut sans orgueil appeler à soi-même des injustices de la fortune ; on s'en console par le témoignage légitime qu'on se rend de ne les avoir pas méritées ; on trouve dans sa propre raison et dans sa droiture un plus grand fonds de bonheur que les autres n'en attendent des caprices du hasard.

Il reste un souhait à faire sur une chose dont on n'est pas le maître, car nous n'avons parlé que de celles qui étaient en notre disposition ; c'est d'être placé par la fortune dans une condition médiocre. Sans cela, et le bonheur et la vertu seraient trop en péril. C'est là cette médiocrité si recommandée par les philosophes, si chantée par les poètes, et quelquefois si peu recherchée par eux tous.

Je conviens qu'il manque à ce bonheur une chose qui, selon les façons de penser communes, y serait cependant bien nécessaire ; il n'a nul éclat. L'heureux que nous supposons ne passerait guère pour l'être ; il n'aurait pas le plaisir d'être envié : il y a plus ; peut-être lui-même aurait-il de la peine à le croire heureux, faute de l’être cru par les autres ; car leur jalousie sert à nous faire assurer de notre état, tant nos idées sont chancelantes sur tout, et ont besoin