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seule condition qu’ils bouclassent tous vers la droite. C’est à ce moment que des sculpteurs, non moins étourdis que dociles, firent machinalement courir ces boucles jusque sur le chignon habituel des idoles du Maître et créèrent ainsi sur son crâne cette apparente excroissance osseuse que, faute de nom pour la désigner, on appela encore oushnîsha et que les bouddhistes de la haute Asie ne parvinrent à s’expliquer que comme une « bosse de sagesse[1] ». Tant il est parfois épineux de marier l’orthodoxie et l’art !

Il ne reste plus à régler que la question du costume. Elle eût pu l’être de la façon la plus expéditive si seulement Siddhârtha avait décidé de suivre l’exemple de ces ascètes nus (ou, comme on disait, « vêtus de l’air ambiant ») qui couraient dès lors les campagnes et les villes de l’Inde et que le voyageur français Bernier y a encore rencontrés au xviie siècle sans que la pudeur de personne s’en montrât offusquée. Mais il n’était pas dans le caractère du Prédestiné de rien pousser à l’extrême, pas même le vœu de pauvreté, et il tiendra à ce que les membres de son ordre soient très décemment vêtus, en dépit du fait que leur habit soit censé composé de pièces et de morceaux. Mais avec qui et contre quoi échanger en cette solitude les riches vêtements de soie qu’il ne saurait conserver plus longtemps ? Passe par chance, seul hôte ordinaire de la brousse, un chasseur, donc un homme de la plus basse caste et même hors caste ; et c’est à ce paria que le prince, surmontant son royal dégoût, s’adresse pour lui proposer le troc de leurs costumes respectifs. L’homme commence par refuser en lui faisant judicieusement observer que ceux qu’ils portent l’un et l’autre sont justement ceux qui conviennent à leur condition ; mais, comme il gagne au change, il ne se fait pas trop prier. À la vérité le pagne de bure grossière dont il est sommairement vêtu n’a rien de commun avec un habit monastique : la version ancienne de la légende s’en contentait cependant, car il avait du moins le mérite d’être sûrement de teinte brun rougeâtre. La teinture kashâya, de toutes la plus vulgaire et la moins coûteuse, signalait en effet tous les outcasts, chasseurs, bouchers et bourreaux ; et c’est aussi celle qui, originairement prescrite pour les moines bouddhiques, est restée en usage chez les lamas de la haute Asie — bien différente de la belle couleur jaune des bonzes singhalais ou cambodgiens. On devine d’ailleurs que les hagiographes n’ont pu longtemps accepter pour leur Maître une transformation vestimentaire aussi improvisée et inadéquate. Tantôt[2] un poète ingénieux imagine que le chasseur en question s’était d’avance déguisé en moine bouddhique pour pouvoir approcher son gibier à meilleure portée de flèche : car l’habit monastique inspire confiance même aux animaux. Tantôt[3] on fait descendre tout exprès sur la terre un deus ex machina costumé en bhikshou. Poussant la maladresse à son comble, c’est même ce dieu que le Lalita-vistara fait soupçonner et appré-

  1. Pour suivre l’éclosion de ladite bosse, v. AgbG fig. 574-582.
  2. V. BC VI 60 s.
  3. La NK veut que le dieu obligeant ait apporté, outre les trois pièces du costume monastique (tri-cîvara), les cinq autres objets complétant l’équipement du moine, à savoir : une ceinture, un bol-à-aumônes, un rasoir, une aiguille et un filtre.