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pas intéressés et mêlés à toutes les circonstances de sa vie laïque jusques et y compris le Grand départ, c’est ce qu’elle ne pouvait croire, et elle l’a bien montré. C’est à l’influence des idées populaires sur la légende que nous devons l’abusif déploiement de mythologie que les textes hagiographiques se sont complu à nous infliger et dont ils ne parviendront pas à se déshabituer entièrement. Au point où nous sommes parvenus de la biographie du Maître, la Communauté monastique entend en reprendre et en garder en mains l’essentiel. Elle a pu abandonner à la fantaisie de ses zélateurs la jeunesse du prince ; les faits et gestes de l’ascète l’intéressent trop directement pour qu’elle consente à s’en dessaisir. Les mythomanes seront désormais tenus en bride par les théologiens et la légende va prendre un tour plus scolastique que romanesque.

Il n’est pas sans intérêt pour le critique de noter cette sorte de décalage de la tradition, brusquement ramenée, au moins par intervalles, sur le plan rationnel : il est encore plus intéressant pour l’historien des religions de pousser jusqu’aux idées foncières qui provoquent ce changement de ton. Pour nous faire mieux comprendre, procédons par contraste. Jésus-Christ est le « Fils de Dieu » et vit en perpétuelle communion avec le Père qui ne l’abandonnera qu’au jardin des Oliviers. L’expression sanskrite correspondante, Dêva-poutra, ne saurait d’aucun biais s’appliquer au Bouddha : aussi bien ne désigne-t-elle proprement que le commun des habitants du ciel et a-t-elle pu être simplement traduite par « ange ». Non, Çâkya-mouni n’est ou plutôt (car ses dévots y ont mis bon ordre) n’était originairement qu’un homme ; mais attendez d’en savoir la raison : c’est que seul un homme, à l’exclusion de tout être surnaturel et a fortiori de tout animal inférieur, est qualifié pour se transformer en un Bouddha — et même, ainsi que le spécifient les règles de l’ordination, pour devenir un moine bouddhique. Du coup le Prédestiné, et avec lui ses saints reprennent leurs droits. L’homme ou, comme disaient les vieux prophètes d’Israël, le « fils de l’homme » (les deux expressions sont synonymes) n’hésite pas à se proclamer supérieur aux génies, que ceux-ci habitent la terre, les airs ou les eaux, tout comme dans la Bible il paraît l’être aux chérubins[1]. Dans l’Inde il surpasse même les dieux qui, pour être sauvés, devront se faire ses humbles disciples. Aussi quand la postérité décernera au Bouddha l’apothéose, elle s’apercevra qu’elle le diminue en le divinisant ; force lui sera d’inventer pour lui une catégorie spéciale et une désignation supérieure, celle de « dieuau-dessus-des-dieux[2] » ou, comme nous dirions, de super-dieu. Mais pour l’instant souvenons-nous qu’il n’est, ne veut et ne peut être qu’un homme. C’est uniquement grâce à sa raison et à sa volonté d’homme qu’il parviendra à libérer l’humanité, et les autres êtres par surcroît, des lacs douloureux de la destinée.

L’orientation du Bouddha et du bouddhisme. — Cependant

  1. Ézéchiel I 26 ; Daniel VII 10-4.
  2. En skt deva-atideva (cf. LV p. 119 l. 5 ; 126, 21 ; 224, 3 etc.).