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CHAPITRE VI

L’ILLUMINATION

Voici que nous arrivons enfin, après tant de préliminaires, à l’heure décisive vers laquelle, de toute éternité, à travers des renaissances sans nombre et grâce à des sacrifices et des perfections sans limites, s’acheminait d’abord inconsciemment, puis avec une conscience de plus en plus claire de son but, l’être prédestiné à devenir le Sauveur de notre âge du monde. De même que « Prince Siddhârtha » s’est transformé en « Çramane Gaoutama », celui-ci va se transformer à son tour en « Bouddha Çâkyamouni » ; et cette ultime métamorphose marquera le point culminant de sa carrière. Non que, monté sur le faîte, il doive jamais aspirer à descendre ; l’homme (car n’oubliez pas qu’il y faut un homme), une fois qu’il est parvenu à ce degré d’élévation suprême, ne peut plus ni monter ni déchoir. On conçoit l’intérêt que les fidèles de l’Inde et de l’Asie bouddhique attachaient et attachent toujours à cet instant mémorable où ils voient, eux aussi, la réalisation d’antiques prophéties et le début d’une ère nouvelle pour l’humanité. Tandis qu’aux yeux des chrétiens le couronnement de la vie terrestre du Christ est sa mort infamante et sublime sur le Calvaire, pour les bouddhistes la vie dernière du Bouddha atteint son parachèvement dans son Illumination à Bodh-Gayâ. Aussi a-t-on pu comparer (non sans sous-entendre bien des mutations à faire) l’arbre sacré qui abrita la Sambodhi à celui de la Croix[1] ; et il est bien certain que deux considérables portions du genre humain continuent à voir dans les représentations figurées de ces deux objets l’emblème symbolique de leur salut éternel.

Les deux aspects de l’Abhisambodhana. — L’exubérance de l’imagination indienne ne pouvait manquer de surcharger de ses riches couleurs et d’entourer d’une mise en scène grandiose le triomphe définitif du Bouddha sur toutes les forces et les puissances du Mal ; et, comme si ce n’était pas assez d’un tel débordement d’allégories et de chimères, les exégètes européens ont encore renchéri sur lui à force de rapprochements avec les nombreuses analogies que leur fournissait la mythologie comparée. De là les controverses soulevées entre nos maîtres indianistes sur l’interprétation des textes relatifs à la Sambodhi. Selon les uns « l’arrivée à la Parfaite illumination » n’est qu’une de ces crises

  1. Rhys Davids, Buddhism p. 37. — La comparaison avec l’Arbre-de-la-Science de la Genèse serait encore plus tirée par les cheveux ; remarquons toutefois qu’au Moyen âge cet arbre était censé avoir fourni le bois de la Croix, si bien qu’après le fruit défendu il aurait également porté l’hostie du rachat de la faute originelle.