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laïques se montrent plus prodigues de chiffres fantastiques et de détails miraculeux. Bien naïf serait celui qui écarterait d’autorité ces derniers pour croire aveuglément les premiers sur la foi de leur physionomie plus archaïque. Présentés différemment selon les milieux et les destinataires, ni les uns ni les autres de ces arrangements ne méritent d’avance pleine créance. Le seul encouragement que leur contraste nous apporte, c’est qu’il doit être plus facile de rétablir les faits à travers une double distorsion en sens inverse de la vérité qu’en présence d’un faux témoignage unique. Le fait que nous disposons de plusieurs versions séparées des mêmes incidents ne peut que favoriser les recherches. Ce qui achève de leur donner un fondement relativement solide, c’est qu’après tout les divergences que nous relevons entre les diverses rédactions sont beaucoup moins profondes que, pour les besoins de leur polémique, les partisans de l’orthodoxie singhalaise ne l’ont prétendu. Que leurs sources à toutes soient communes, c’est ce que nombre d’expressions identiques et de passages parallèles sont là pour démontrer à chaque pas[1]. Notre tâche consiste donc, en bonne méthode, à tirer le maximum de vraisemblance historique de la comparaison, point par point, des multiples branches de la tradition. Nous contribuerons ainsi, autant que l’état fragmentaire des documents qui nous sont accessibles pourra le permettre, à l’établissement déjà commencé des « synoptiques » bouddhiques. En même temps, nous amorcerons, dans la limite de nos moyens, cette étude de la formation de la légende, qui reste le but ultime du travail critique des érudits[2]. Car de même que les fouilles des archéologues ne doivent pas s’arrêter avant d’avoir atteint le sol vierge, de même les philologues se doivent de pousser de plus en plus profondément leurs sondages à travers l’amoncellement des Écritures jusqu’à ce qu’ils arrivent enfin, si faire se peut, au tuf historique.

Au cas où nous serions tenté de nous abandonner au courant des textes et de les suivre dans leurs folles exagérations, nous serions vite ramené à une vue plus pondérée des choses par l’examen d’une autre série de documents que nous n’avons pas encore mentionnée jusqu’ici, mais dont l’apport ne saurait plus être négligé par les historiens. Nous voulons parler des révélations dues aux progrès incessants de l’archéologie indienne et qu’accroissent de jour en jour l’interprétation des inscriptions d’Açoka, les fouilles pratiquées sur l’emplacement désormais localisé des huit villes saintes du bouddhisme ancien, et l’identification des sculptures exhumées aux abords des vieux sanctuaires. Ces monuments ne sont pas moins authentiques que les textes ; en un sens même ils sont plus sûrs, car s’ils ont souffert, eux aussi, bien des mutilations, du moins ils ne se prêtent ni aux remaniements postérieurs, ni aux interpolations tendancieuses. Or, leur effet immédiat est de ramener sur le plan des réalités terrestres une légende

  1. On trouvera plusieurs de ces passages parallèles dans E. Windisch, Mâra und Buddha (Leipzig, 1895 p. 3 et 43) et Buddha’s Geburt (Leipzig, 1908, ch. vii) ; L. Feer, Ann. du Musée Guimet t. V p. 482 ; et supra p. 224 s. Senart constate également (p. xxi) qu’il n’y a aucune divergence profonde entre les deux traditions ni dans le fond ni sur le nombre des épisodes.
  2. Nous sommes heureux de pouvoir renvoyer en dernière heure à l’important article de M. l’Abbé Ét. Lamotte sur la Légende du Buddha (Rev. de l’histoire des religions CXXXIV 1947-8) : le lecteur y trouvera, en même temps qu’une très complète bibliographie raisonnée des biographies du Buddha et de leurs sources, un premier aperçu des « états successifs de la légende » au cours des dix siècles qu’elle a pris pour se constituer.