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lui ont pas coûté les dernières vingt-quatre heures ! Comme un homme parvenu sur le faîte de la plus haute cime, il a le droit de goûter en paix la joie de son ascension accomplie. C’est bien ainsi que l’entendait la tradition bouddhique ; pendant un laps de temps qui alla croissant et qui, vraisemblablement parti de sept jours, finit par être fixé à sept semaines[1], le Bienheureux est autorisé et même convié par elle à reprendre haleine et à jouir de sa félicité ; et jusqu’au bout de ces quarante-neuf jours il n’aura d’autre aliment que sa béatitude. On n’a pas manqué de rappeler que Jésus-Christ, aussitôt après le baptême dans le Jourdain, fut emmené par l’Esprit dans le désert et qu’il y jeûna quarante jours et quarante nuits. Certains même ont prétendu souligner cette analogie à l’aide d’un détail encore plus frappant. Quand Jean eut consenti à baptiser celui qui « venant après lui était plus puissant que lui », les cieux s’ouvrirent et, sous la forme d’une colombe, le Saint-Esprit descendit « sur Jésus », d’autres lisent : « en Jésus ». Que de plus experts discutent la question de savoir quel était sur ce point le texte original des Évangiles ; mais s’il était écrit « en lui », cela reviendrait à dire que l’ « illumination » du Christ eut lieu à ce moment même et que ce ne fut pas dès sa naissance matérielle, mais seulement à partir de son baptême, qu’il devint vraiment le fils de Dieu[2]. Dans cette hypothèse, le parallélisme entre les deux traditions se poursuivrait longuement : à la Sambodhi correspondrait la crise non moins décisive du baptême, et, dans les deux cas, entre la révélation obtenue et la révélation communiquée, entre l’illumination intérieure et la prédication publique, se placerait à peu près la même période de jeûne solitaire, coupée de tentations. En théorie rien de plus semblable ; en fait, comme nous allons voir, rien de plus différent : le même fond humain s’anime et se colore selon les milieux de la façon la plus diverse.

Les textes bouddhiques ne sont entièrement d’accord ni sur le nombre ni sur l’emploi des semaines qui séparèrent l’Abhisambodhana du premier repas pris par leur Maître : c’est qu’ils ne suivent pas tous la même version du mâhâtmya de Bodh-Gayâ[3], ou que, débordant ses limites, ils prétendent y interpoler des prodiges de leur cru. Ces variations nous inquiètent d’autant moins que nous avons déjà appris ci-dessus à en deviner la cause. Nous le savons par Hiuan-tsang, et nous le voyons de nos yeux grâce aux fouilles, l’étroit enclos de l’ « aire de l’Illumination[4] » était encombré à se toucher de monuments tous censés commémoratifs de quelque épisode miraculeux. Ceux qui rappelaient chacune des sept semaines étaient du nombre : mais leur destination, tout comme leur emplacement, dépendait jusqu’à un certain point des circonstances, — disons mieux, des concurrences locales : car chaque « station » d’un pèlerinage indien a son percepteur de taxe particulier et le pèlerin doit toujours avoir la main à la bourse. C’est ainsi que les anciens textes ne soufflent mot

  1. La preuve en est que, d’accord avec BC XIV 94, la vieille complainte insérée dans le LV p. 385 ne compte que sept jours ; cf. E. Tuneld p. 115.
  2. Marc I 9-11 ; Mathieu II 13-17 ; Luc II 21-2.
  3. Cf. E. Tuneld p. 45-53 et 104-111 pour l’emploi des sept semaines selon les divers textes.
  4. En skt Bodhi-manda.