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aux yeux que le Bouddha a délibérément adopté la méthode des vieux praticiens de la « Science de la longévité[1] » ainsi que les Indiens appellent la médecine. À raison de l’application pratique que dès le début il entend faire des principes de sa doctrine, il ne pouvait agir autrement. Tour à tour, en bon thérapeute, il définit la maladie qu’il a entrepris de guérir, il en décèle la source, il s’en représente la cessation et en ordonne le remède ; et, pour l’instant, il ne veut rien savoir au delà : car, est-il écrit, de même que le vaste océan n’est pénétré que de la seule saveur du sel, la doctrine du Prédestiné est tout entière imprégnée du seul souci de la « délivrance ». Ne craignons pas d’insister sur le caractère rationnel de cette technique médicamentaire appliquée au mal moral. Cet être souffre : il faut le soulager. Sa guérison, il ne peut par définition l’attendre de la grâce divine, mais il ne doit pas non plus s’en remettre au hasard d’un aveugle destin. Il n’est pas davantage au pouvoir du Bouddha de lui octroyer d’office la santé ; car nul — même lui, nous ne l’ignorons pas — ne peut violenter les lois du karma. Il reste que le malade se l’obtienne à lui-même, non, comme le prétendent les brahmanes, à coup de macérations corporelles ou d’offrandes rituelles, les unes et les autres également vaines, mais grâce à une discipline mentale[2], conformément aux directives d’un docteur qui s’est révélé aussi expert que compatissant : car, soucieux de faire profiter tous les êtres de son expérience personnelle, éveillé il les éveille, désaltéré il les désaltère, apaisé il leur apporte la paix. Assurément le régime qu’il prescrit est purement préventif et, de l’aveu même des textes, n’agit que graduellement et à lointaine échéance[3]. Quand le mal est à ce point enraciné, il est trop tard pour l’attaquer directement : il n’est point d’intervention chirurgicale qui puisse extirper en un moment ce cancer des passions qui de toute antiquité ronge plus ou moins profondément toutes les âmes. Homme, estime-toi déjà trop heureux que ta souffrance ait une cause et que le Bouddha ait réussi à en découvrir la cause : car sur celle-ci du moins il t’est possible d’agir à la longue et par suite il te devient permis d’espérer un éventuel soulagement. La guérison parfaite, le Nirvâna absolu, te demandera peut-être pour son acquisition bien des années ou même bien des vies successives de vigilance, de restrictions et de contraintes continuelles. Le régime peut te paraître aussi rigoureux que lent à produire ses bienfaisants effets : l’important est que son efficacité te soit garantie si du moins tu crois à la transmigration des œuvres (à défaut des âmes), et si tu mets ton recours dans la Triade sacrée du Bouddha, de la Loi et de la Communauté.

L’autre face de la doctrine. — Quand le Bienheureux érigea ainsi pour la première fois les Quatre fermes piliers de la Bonne-Loi, les Cinq de la Bande fortunée, conformément à l’ordinaire cliché des textes, « se délectèrent à l’entendre », et tous, successivement, Kaoundinya en tête, le comprirent. Ils n’y eurent pas

  1. Skt âyur-veda. Le Buddha est très souvent dans le LV appelé le meilleur des vaidya ou médecins. M. P. Demiéville a réuni dans le Hôbôgirin (p. 228-230) nombre de textes soulignant expressément le caractère médical de la formule des quatre vérités.
  2. En termes techniques indiens le salut est pour les bouddhistes une question de vinaya et non de tapas ou de kratu-kriyâ.
  3. La comparaison entre le jeu de l’Océan et le caractère graduel de la médication est également dans le CVA IX 1, 4.