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reur de la façon la plus minutieuse. Successivement, à propos de chacun des cinq skandha le Maître demande sans se lasser à ses disciples : « Est-il éternel ou périssable ? — Il est périssable. — Ce qui est périssable cause-t-il peine ou plaisir ? — Cela cause peine. — Ce qui est périssable, pénible, sujet au changement, puis-je considérer que c’est à moi, que je suis cela, que cela est mon moi ? — Évidemment non, Seigneur[1] ! » Et ainsi il devient clair qu’en définitive il n’y a pas de moi. Notons tout de suite que quand il s’agira également d’éclairer les esprits des anachorètes d’Ouroubilvâ aussitôt après leur conversion, le Bouddha procédera de même ; seulement cette fois, il prendra pour refrain de son homélie l’autre métaphore qu’Héraclite a également rendue familière à l’Occident, non plus celle du flux, mais celle de la flamme. Ce sera le tour de chacun de nos six sens, de son objet, de son contact avec cet objet, de la sensation que ce contact donne et de l’impression agréable, désagréable ou indifférente qui en résulte, d’être embrasés et consumés dans le feu attisé par les trois passions attelées au moyen de la Roue, et qui en sont les forces motrices, Lubricité, Animosité, Stupidité[2]. Dans l’une comme dans l’autre occasion le Bienheureux obtient le résultat qu’il recherche. Ainsi instruit, le disciple se dégoûte de l’illusion de son moi comme de la fantasmagorie du monde : « Dégoûté, il se libère de ses passions ; libéré, il prend conscience de sa délivrance ; le cours des renaissances est arrêté, la vertu pratiquée, le devoir rempli : il n’y aura plus pour lui de retour ici-bas ». Où il n’y avait tout à l’heure que des moines, il y a à présent des saints. Ceci bien entendu, il n’en reste pas moins que la Première prédication du Prédestiné se borne à énoncer les Quatre vérités : c’est là pour un début assez de nouveautés jamais encore entendues. Toutefois afin de les faire mieux entrer dans l’esprit de ses cinq auditeurs le Maître les reprend par trois fois. Chacune d’elles, tour à tour, est exposée ; chacune doit être comprise ; chacune est pleinement comprise ; et comme elles sont au nombre de quatre, la « Roue de la Loi » mise en branle par le Bienheureux, et avant lui par nul autre que les Bouddhas ses prédécesseurs, est dite « tourner à trois tours » et « de douze manières[3] ».

Le symbolisme de la roue. — Bien que nous nous occupions avant tout de la vie et non de la doctrine de Çâkya-mouni, nous ne pourrons nous dispenser dans nos conclusions de risquer un jugement d’ensemble sur le message qu’il a laissé à l’adresse de la postérité. Plus urgent est présentement le besoin de quelques explications au sujet du symbole qu’ont adopté les bouddhistes pour désigner et figurer la Prédication de leur Maître : il n’y aura pas à les chercher bien loin. On sait déjà que le tchakra était le premier des sept trésors attitrés du Monarque universel ou Tchakra-vartin (litt. « celui qui fait rouler la roue ») ; comme celle-ci se souvenait obscurément d’avoir été jadis le soleil, c’est à l’orient qu’elle se manifestait lors de l’avènement du roi prédestiné,

  1. MVA i 6, 38 ; MVU III p. 337 ; ANS p. 255-6.
  2. MVA I 21.
  3. On obtient ainsi le tableau suivant :
    i ii iii iv
    1. La douleur
    Duḥkham
    son origine
    samudayaḥ
    sa suppression
    nirodhaḥ
    la voie de celle-ci
    pratipad
    2. doit être approfondie
    parijñeyam
    doit être écartée
    prahâtavyaḥ
    doit être perçue
    sâkshât-kartavyaḥ
    doit être réalisée
    bhâvayitavyâ
    3. a été approfondie
    parijñâtam
    a été écartée
    prahîṇaḥ
    a été perçue
    sâkshât-kritaḥ
    a été réalisée
    bhâvitâ