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d’admirablement préparé à devenir l’un des convertis de la première heure : nous voulons parler du propre neveu[1] du grand rishi Asita. Son oncle, en mourant, lui avait fait promettre que, dès qu’il apprendrait l’avènement du nouveau Bouddha, il se hâterait d’aller l’écouter. L’exécution de sa promesse lui est d’autant plus facile que, nous assure-t-on, il était entré dans une confrérie brahmanique voisine de Bénarès. Converti d’office et connu en religion sous le nom de Mahâ-Kâtyâyana, il deviendra l’un des grands missionnaires de la secte. La légende veut qu’il ait évangélisé les Indes de l’Ouest et du Nord et porté la Bonne Loi jusqu’au cœur des Pâmirs.

Au récit de sa conversion s’enchevêtre celle d’un autre personnage qui avait aussi ses raisons de guetter l’apparition du nouveau Bouddha : nous voulons parler du roi des génies-serpents, Elâpattra. Ce Nâga-râdja habitait à une étape de Taxila, en marchant dans la direction de l’Indus, une merveilleuse source jaillissante, d’un débit considérable, au lieu dit aujourd’hui Hasan-Abdal ; Hindous et Musulmans, pour une fois d’accord, continuent à vénérer ce Vaucluse indien sous l’invocation du Gourou Nânâk, et ses desservants Sikhs veillent jalousement à ce qu’aucune fumée de tabac n’en vienne empoisonner l’atmosphère. Il nous faut savoir qu’au temps du Bouddha Kâçyapa, le prédécesseur immédiat de notre Câkya-mouni, Elâpattra était un de ses moines[2] : condamné à renaître comme Nâga en punition d’un geste d’impatience (il aurait écarté avec trop de colère une feuille de cardamome qui, en effleurant son front, troublait sa méditation), il ne devait être relevé de cette malédiction que par le Bouddha de notre âge : aussi ne tarde-t-il pas à venir au Bois-des-Gazelles lui demander la rémission de sa faute. Tantôt ses têtes de reptile polycéphale sont déjà parvenues à Bénarès que les derniers anneaux de sa queue ne sont pas encore sortis, à cinq cents lieues de là, de son aquatique retraite pandjâbie ; tantôt il se présente sous la forme beaucoup moins terrifiante, mais non plus croyable, d’un novice brahmanique. C’est qu’en effet ces extraordinaires ophidiens passaient et passent encore pour avoir le pouvoir d’assumer à volonté la forme humaine ; mais même alors (ainsi que nous l’ont assuré de la meilleure foi du monde les pandits du Cachemire) il est facile de les reconnaître au fait qu’ils ne peuvent empêcher que leurs cheveux ne restent humides et leurs mains moites : nous nageons en plein folklore de l’Inde du Nord.

La vieille tradition ne connaît pas ces lointaines divagations. Aussi bien, parmi les nombreux habitants de Bénarès même, il ne manquait pas d’âmes atteintes de ce que l’on a appelé le « mal du siècle » et éperdument désireuses de trouver un sens et un remède aux inexplicables misères de la condition humaine dans la certitude et la paix d’une nouvelle religion. En proie aux mêmes affres spirituelles dont était victorieusement sorti le Bouddha, c’était là autant d’adeptes désignés d’avance pour sa doctrine.

  1. On l’appelle Naradatta, Nârada ou Nââlaka : cf. BC I 81 ; MVU III p. 383 s. ; ANS p. 279 s. et cf. DA p. 580 pour sa visite au Vokkâna (Wakân).
  2. Sur cette histoire très embrouillée v. MVU III p. 382 ; ANS p. 276 ; Life p. 45-7 et cf. Barhut pl. xiv et AgbG fig. 251 et 317. La légende est bâtie sur la déformation du nom d’Airâvata en Elâ-pattra (Feuille de cardamome). Cf. J. Ph. Vogel, Indian Serpent Lore (Londres, 1926) p. 10, 50 et 207.