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improvisée ; et c’est celle-ci qui aurait miraculeusement pris racine, et qui, en sa qualité de plante traçante et drageonnante, aurait fini par couvrir de ses rejetons colline et vallée et par donner naissance au « Bois-des-Perches » ou « de la Perche[1] ». L’invention est joliment concertée : mais le guide trop bien informé et son trop crédule auditeur n’avaient oublié qu’un point : c’est qu’au témoignage formel des Écritures, le Yashti-vana existait déjà bien avant la venue du Bienheureux au Magadha.

Les deux grands disciples. — De l’aveu commun, le fait capital qui signale le premier séjour du Bouddha parfaitement accompli à Râdjagriha fut l’acquisition des deux grands disciples, Çâripoutra et Maoudgalyâyana. Les textes ne tarissent pas sur ces deux éminents personnages qui devaient devenir entre tous les membres de la Communauté, l’un « le premier de ceux qui ont une intelligence pénétrante » et l’autre, à un degré légèrement inférieur, « le premier de ceux qui possèdent des pouvoirs magiques ». Oupatishya, dit Çâripoutra du nom de sa mère, et Kolita, dit Maoudgalyâyana du nom de son clan, étaient originaires de villages assez voisins de la capitale. Issus de bonnes et riches familles brahmaniques, amis d’enfance et tous deux très bien doués, ils avaient fait ensemble de brillantes études et « tels des rois sans couronne » semblaient promis à un brillant avenir mondain. Mais un jour qu’ils s’étaient rendus à une grande assemblée — moitié pèlerinage et moitié foire, comme nos pardons de Bretagne — Çâripoutra est tout à coup frappé par la pensée que de toute cette multitude en fête[2] il ne resterait plus personne en vie dans cent ans. L’inconscience avec laquelle tous ces gens promis à la mort se livrent aux plaisirs de la vie le confond autant qu’elle l’afflige. Il n’a aucune peine à faire partager à son ami Maoudgalyâyana son sentiment profond de la vanité de ce monde ; et, faute de trouver mieux, tous deux entrent en religion sous la direction d’un des six chefs de secte hétérodoxes du nom de Sâñjayin, fils de Vaïratî. Mais comme son scepticisme amoral ne les satisfaisait pas, ils prennent le parti de se mettre, chacun de leur côté, à la recherche d’un meilleur directeur de conscience, non sans s’être réciproquement juré que le premier qui l’aurait découvert se hâterait d’en informer l’autre. Leur bonne étoile, comme nous dirions — leurs mérites passés, comme disent les Indiens — ne devaient pas tarder à leur faire rencontrer dans le Bouddha le seul maître qui fût digne d’eux. Mais mieux vaut passer la parole à la tradition, et mieux encore mettre synoptiquement sous les yeux du lecteur les deux versions anciennes qui nous ont été transmises, l’une en pâli, l’autre en prâkrit : leurs divergences de détail ne feront que mieux ressortir leur concordance foncière, indice d’authenticité. À la vérité le nom d’un des personnages, lequel est un rouage essentiel de l’histoire, est de part et d’autre différent. C’est le neveu qu’il a inventé aux Kâçyapas que le Mahâvastou fait aborder incontinent par Çâri-

  1. Hiuan-tsang J II p. 10 ; B II p. 145 ; W II p. 146 (Cf. Avadâna-çataka, III ; DA p. 75 et AgbG fig. 251 b et 256 c). Les légendes qui prétendent expliquer le Karaṇda°, Karanda° ou Kalanda-nivâpa mis en apposition au Veṇu-vana se contredisent l’une l’autre.
  2. MVU III p. 57 s. et ANS p. 325. Ce samâja sur une colline se retrouve mentionné sur les fragments 22 et 45 retrouvés en Asie centrale du drame écrit sur ce sujet par Açvaghosha sous le titre de Çaradvatî-putra-prakaraṇam (H. Lüders, Bruchstücke buddhistischer Dramen, Berlin 1911).