Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ici s’intercale un curieux épisode dans lequel on est d’autant plus fortement tenté de voir un souvenir authentique que son caractère peu édifiant l’a fait bannir des textes postérieurs. Selon ces derniers le Bouddha ne se heurte à aucune mauvaise volonté de la part des siens, et l’orgueil légendaire des Çâkyas cède sans résistance devant son prestige. La plus ancienne tradition faisait preuve d’un sens psychologique plus fin. D’après elle le roi Çouddhodana n’a pas encore pardonné à son fils la cruelle déception que le « Grand départ » a infligée à ses espoirs dynastiques. Assurément il commence par aller, comme il sied, au-devant du Bienheureux ; mais rencontrant en chemin des moines qui viennent faire leur quête à la ville, il ne peut supporter l’idée que l’ancien prince héritier soit devenu pareil à l’un d’eux. Il donne ordre à ces mendiants de ne pas paraître devant ses yeux, et, faisant tourner son char à quatre chevaux, rentre au palais royal. Avait-il l’appréhension trop justifiée de l’espèce de cyclone spirituel que la venue du Bouddha allait déchaîner sur sa race ? Toujours est-il que celui-ci doit à son tour envoyer en ambassade près de son père ce même Oudâyin, chargé de lui faire comprendre qu’il est aussi glorieux d’être le père d’un Sauveur du monde que d’un Monarque universel. C’est seulement après avoir reçu ces apaisements que Çouddhodana organise la même procession que naguère Bimbisâra (supra, p. 221) pour aller souhaiter la bienvenue au Maître qui, comme de règle, s’est arrêté en dehors de la ville, dans le Parc des Figuiers-des-Banians[1] ; et dès lors l’accord des textes se refait, comme le plus souvent, sur l’invraisemblable.

Le Bouddha n’ignore pas que nul n’est prophète en son pays ; il n’oublie pas non plus que nombre de nobles Çâkyas l’ont connu enfant, et qu’enfin il va se trouver confronté avec son propre père ; mais d’autre part il sait aussi qu’un Prédestiné ne peut se lever, ni encore moins s’incliner devant personne sans que la tête de celui qui accepterait cet honneur excessif n’éclate en sept morceaux. Comment trancher une question d’étiquette compliquée de sanctions aussi terribles ? Il ne saurait évidemment se tirer d’affaire qu’en manifestant par exception ses pouvoirs surnaturels. Il s’y résigne donc et, créant « à la hauteur d’un palmier-éventail » un promenoir magique, il va et vient dans les airs à la vue des Çâkyas stupéfaits. Devant un pareil prodige tous ne peuvent que se prosterner et Çouddhodana lui-même « adore son fils pour la troisième fois[2] ». C’est là du moins ce qui depuis très longtemps se raconte ; car, il y a deux mille ans, cette scène était déjà représentée en grand détail sur l’un des jambages de la porte orientale du grand stoupa de Sâñchî. On y voit la procession royale, en char, à cheval, à éléphants, gardes et musiciens en tête, circuler, tous les habitants aux fenêtres, à travers les rues tortueuses de Kapilavastou, puis sortir de la ville pour se rendre à l’ermitage des Figuiers-des-Banians ; là roi et courtisans ont

  1. Nyagrodha-ârâma.
  2. Pour les deux autres occasions v. supra p. 63 et 94 ; cf. Sâñchi pl. 50.