Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/237

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sonne du « beau Nanda ». S’il est vrai que ce jour-là même ce dernier devait épouser la plus jolie fille de Kapilavastou, être sacré héritier présomptif et pendre la crémaillère dans un nouveau palais, son impérieux demi-frère aurait troublé trois fêtes à la fois. Pour procéder à son enlèvement, le Prédestiné use de stratagème. Le bon Nanda l’a aperçu qui quêtait dans la rue ; laissant là sa fiancée il se précipite vers son demi-frère, lui prend des mains son bol-à-aumônes, et le lui rapporte aussitôt, rempli des meilleurs mets ; mais dans son astucieuse préméditation le Bouddha ne consent pas à le reprendre, et le pauvre prince, contraint d’être poli jusqu’au bout, l’accompagne, toujours portant le bol, jusqu’à l’ermitage. Là les moines s’emparent de lui, livrent sa tête au barbier et le dépouillent de ses parures pour lui faire revêtir l’habit monastique. Mais pour autant son cœur n’a pas changé et il se donne aux yeux de ses confrères, qui ne lui épargnent pas leurs quolibets, le ridicule de regretter sa bien-aimée. En vain tente-t-il à plusieurs reprises de s’évader du couvent. Pour le guérir du mal d’amour, il faut que le Bienheureux l’emmène, accroché à un coin de son manteau, jusque dans le paradis d’Indra. Au cours de leur route à travers les airs, ils commencent par apercevoir, juchée sur un tronc d’arbre calciné dans une forêt qui vient d’être dévastée par un incendie, une infortunée guenon, échappée par miracle au désastre, roussie, pelée, sanguinolente, lamentable ; après quoi, sans transition, ils contemplent à loisir les nymphes qui font l’ornement et l’agrément du paradis des Trente-trois. Nanda est bien forcé de convenir, à la vue de leurs célestes attraits, qu’il y a autant de différence entre ces houris et sa fiancée qu’entre celle-ci et la guenon de tout à l’heure. Il se résigne donc à prendre en patience l’état de religieux dans l’espoir que les mérites ainsi acquis lui permettront de renaître en si charmante compagnie. Mais tout finit par se savoir, surtout dans un couvent, et bientôt Nanda n’est plus connu que sous le sobriquet d’ « amant des nymphes », jusqu’à ce qu’enfin, par un dernier effort de volonté, il se délivre de la fascination exercée sur lui par la vaine et passagère beauté de la femme. On conçoit que cette anecdote[1], semi-édifiante et semi-bouffonne, ait copieusement inspiré artistes et lettrés indiens.

Les Çâkyas. — À propos de la levée religieuse des « fils de famille » de Kapilavastou, la légende n’a pas davantage reculé devant la question qui se pose à l’arrière-plan de toutes les histoires indiennes, à savoir celle des castes. Nous aurons à y revenir, mais déjà nous apprenons qu’au contraire de ce qui se passe dans les cercles brahmaniques, la plus humble naissance n’est nullement un obstacle à l’entrée en religion au sein de la Communauté bouddhique. Recensement fait, un contingent de cinq cents jeunes aristocrates Çâkyas, enrôlés plus ou moins volontaires, vient en somptueux appareil se présenter au Bouddha pour grossir d’autant le nombre de ses disciples. Le barbier Oupâli[2],

  1. À l’épisode de Nanda est consacré le poème d’Açvaghosha intitulé Saundarânanda (cf. BL p. 262 s.) ; v. aussi AgbG fig. 234-8 et Amarâvati B pl. 41, 5.
  2. Sur l’épisode d’Upâli v. SA VII 47 (trad. Éd. Huber p. 222 s.).