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pêcher de se poser au sujet du retour à Kapilavastou. Le Bouddha a passé là : sa sublime compassion a-t-elle eu une action bienfaisante ou a-t-elle sévi comme un fléau ? — Qu’on en juge. Il est censé emmener avec lui la fleur de la jeunesse, et il n’est pas de famille qui ne regrette le fils qu’il lui a ravi. La sienne est particulièrement éprouvée : la lignée royale est condamnée à s’éteindre, et l’infortuné Çouddhodana demeurerait seul dans son palais déserté, abandonné même des reines, si le Maître n’avait provisoirement refusé aux femmes l’accès de sa Communauté. D’autre part (c’est toujours la tradition qui nous l’assure) les redoutables guerriers Çâkyas, naguère invincibles, se sont imprégnés en écoutant les sermons du Bienheureux des idées éminemment bouddhiques de « non-résistance à la violence ». Les voilà devenus une proie facile pour leur voisin, probablement même leur suzerain, le puissant roi de Koçala, dont la capitale Çrâvastî n’était que trop proche de leur propre ville. Tant qu’y régnera Prasênadjit, ils n’auront rien à craindre ; mais, dans leur intraitable orgueil, ils ont mortellement offensé son héritier présomptif, Viroudhaka. Aussi, dès que ce dernier, selon la coutume ordinaire des râdja-koumâra indiens, aura réussi à détrôner son père, se hâtera-t-il d’entrer en campagne pour les exterminer[1]. Ils sont une première fois sauvés par une intervention opportune du Bouddha ; puis lui-même les abandonne au destin que leur vaut leur mauvais karma, se consolant à la pensée que sa prédication aura du moins amélioré leur destinée future. La ville détruite est noyée dans le sang de ses habitants, et c’est sur cette catastrophe que s’achève le cycle de Kapilavastou, où rien ne nous ramènera plus. Les pèlerins chinois signalent plus d’une fois l’existence, au voisinage des places saintes, de vastes nécropoles où se pressait une multitude de petits stoupa de formes diverses, élevés par la piété des générations successives sur les cendres des moines morts en odeur de sainteté[2]. Il subsistait justement au Nord-Ouest de la cité les débris d’un grand cimetière de ce genre ; et les guides locaux en tiraient avantage pour le désigner comme étant le lieu du massacre, en quoi évidemment ils trompaient les gens ou se trompaient eux-mêmes. Avaient-ils également inventé de toutes pièces cette tragédie féodale, en soi nullement invraisemblable, et l’avaient-ils placée du vivant même du Maître pour expliquer de la façon la plus impressionnante possible la totale disparition de son clan et l’abandon au désert et à la ruine de sa ville et de son pays natals ? Qui pourrait à présent le dire ? Peut-être cette trop réelle dévastation date-t-elle simplement d’une des invasions scythes, parthes ou tokhares qui ont balayé l’Hindoustan avant et après le début de notre ère. Ce que nous pouvons affirmer sur le véridique témoignage de Fa-hien, c’est que dès le ive siècle la région tout entière était retournée à la djangle.

Le don du Djêta-vana. — Mais ces sinistres événements étaient encore le secret de l’avenir, et c’est au contraire dans une

  1. Sur le retour à Kapilavastu, le détrônement (cf. supra p. 254) et la mort de Prasenajit, et la vengeance de Virûḍḥaka v. L. Feer, Extraits du Kanjour, p. 65-9 et cf. Life p. 75 s. et 112-122 ; v. aussi DhPC IV 3.
  2. Par ex. à Bactres (B I p. 46), près de Sânkâçya (B I p. XLIII) et de Vaiçâlî (B II p. 73) et à Bodh-Gayâ (B II p. 115) où l’indication a été vérifiée par les fouilles. Pour Kapilavastu v. B II p. 20.