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pâtés de sable, s’avisa de déposer dévotement une poignée de poussière, en guise de farine, dans le bol du grand çramane qui passait ; et non seulement le Bouddha se prêta à ce geste puéril, mais encore il aurait prédit au garçonnet qu’en récompense de son simulacre d’aumône il renaîtrait comme roi du pays et deviendrait un jour l’empereur Açoka.

Bouddhaghosha n’a pas manqué l’occasion de répéter à propos de Çâkya-mouni, le cliché des textes sacrés sur les prodiges qui accompagnent automatiquement la quête de tous les Prédestinés. Dès que l’un d’eux entre en ville, tout prend un aspect enchanteur ; une pluie fine abat devant lui la poussière ; les oiseaux et les animaux domestiques l’accueillent par leurs chants et leurs cris joyeux, des musiques célestes se font entendre, la terre s’aplanit sous ses pas, et, avertis par tous ces signes de son arrivée, les citadins s’empressent à l’envi de lui apporter leurs offrandes[1]. Il y avait, hélas, un revers à ce tableau : parfois, nous avoue-t-on, — particulièrement dans les « villages de brahmanes » — Çâkya-mouni et ses disciples se heurtaient à l’avarice, voire même à l’animosité des habitants. Bien entendu la faute en était moins à ceux-ci qu’à Mâra qui, de grand dieu devenu le diable, s’abaissait jusqu’à s’emparer de leur esprit et à endurcir leur cœur en vue de jouer un mauvais tour à son ennemi juré et à ses moines. Les pieux vagabonds ne s’en retournaient pas moins avec leurs sébiles vides, et n’avaient d’autre ressource ce jour-là que de se nourrir, comme les dieux des plus hautes sphères, « de leur propre félicité », et sans doute aussi de serrer la ceinture qui retenait sur les hanches leur long pagne[2]. Parfois ils se heurtaient à l’hostilité des chiens qui, comme on sait, n’ont jamais ni nulle part aimé les gens « portant bâton et mendiant » ; et, de fait, l’équipement des bhiskshou se compléta bientôt d’un long bâton pour se préserver de leurs morsures. Ils avaient même, soit dit en passant, fort ingénieusement adapté cette arme défensive à un second usage en munissant son extrémité supérieure d’un jeu d’anneaux dont le cliquetis leur permettait, sans rompre le silence, d’éveiller l’attention des patrons par trop distraits. On ne nous dit pas que le Bouddha lui-même ait jamais eu besoin de se servir de cet instrument à double fin[3]. Sa réputation était telle qu’il ne passait jamais inaperçu ; et un jour qu’à Çrâvastî il avait été accueilli au seuil d’une somptueuse demeure par les aboiements furieux d’un chien blanc, favori du propriétaire absent, il n’eut qu’à dire à l’animal, en le regardant fixement : « Quand cesseras-tu enfin de faire le faraud[4] ? », pour qu’aussitôt, la tête et la queue basses, il allât se coucher tristement dans un coin. Quand le maître de la maison rentra, il demanda à ses domestiques : « Qui donc a fait de la peine à ce chien ? » Ils répondirent « C’est le Bouddha », et aussitôt l’autre s’en courut au Djêtavana pour adresser au Bienheureux de véhéments reproches. Mais celui-ci lui rabattit vite le caquet en lui apprenant que son chien n’était autre que la réin-

  1. Cf. DA p. 365.
  2. Mâra-saṃyutta II 8 et DhPC XV 2.
  3. Pourtant on a montré à Fa-hien (ch. XIII) le bâton de santal du Buddha.
  4. Littt : « Cela n’est pas assez pour te dresser d’en être venu de faire « Bho ! » (Manière hautaine d’interpeller les gens) à faire « Bhok ! » (c.-à-d. à aboyer) ». Cf. Mahâ-vibhanga, éd. S. Lévi (Paris 1932) p. 21 s. et AgbG fig. 257.