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déchaînés rendait pour l’instant sourds à sa voix. Nous avons vu qu’au matin, en fin de méditation, il promenait son œil divin sur toute l’étendue de ce monde : et parfois, grâce à ce don de télévision, il s’apercevait qu’ici ou là se préparaient des drames qui requéraient d’urgence sa charitable intervention. C’est ainsi qu’un jour, du fond de sa résidence du Djêtavana, il vit à bien des lieues par delà l’horizon de l’Est que Çâkyas et Koliyas allaient en venir aux mains pour se disputer l’eau de la Rohinî qui séparait leurs territoires[1] ; car, alors comme aujourd’hui dans les campagnes indiennes, quand les canaux d’irrigation ne peuvent plus suffire aux besoins des deux rives, les latthi de bambou des villageois riverains avaient vite fait d’entrer en danse. Une autre fois c’est le petit prince d’Atavî, victime innocente, dont un Génie anthropophage va s’emparer pour le dévorer[2] ; ou encore le brigand Angoulimâla qui, pour parfaire à cent le nombre de ses victimes — et des doigts coupés sur chacune d’elles, dont, comme l’indique son nom, il se fait une guirlande — s’apprête à égorger sa mère[3]. À ces cas désespérés, rien qu’un miracle n’est capable de porter un assez prompt remède. En un clin d’œil le Bouddha se transporte à travers les airs là où son bon cœur le pousse. Une fois même c’est avec tout un cortège de moines qu’il se rend ainsi de Çrâvastî au Bengale pour répondre à l’appel mental de la fille d’Anâthapindada qui, mariée au fils d’un zélateur des Ascètes nus et leur refusant son hommage, est menacée d’être mise à la porte par son beau-père[4]. Il va sans dire que l’apparition inopinée du Bienheureux suffit en chaque occasion à empêcher toute mauvaise action et à ramener le calme dans les cœurs en proie à la colère. Et pourquoi cela ? C’est qu’il dispose d’une arme irrésistible autant qu’invisible, la force de « bienveillance[5] » qui émane de tout son être et subjugue en même temps qu’elle apaise ceux vers qui il dirige cette sorte de bienfaisant rayon ardent. Plus fait douceur que violence.

Miracle non moins grand, et à peine plus croyable, il aurait aussi triomphé de l’entêtement non seulement de ses contradicteurs loyaux, mais encore, quand ils se risquaient à se mesurer avec lui, de ces controversistes quasi professionnels qui pullulaient déjà dans les cercles religieux de l’Inde et promenaient de ville en ville leurs tours de passe-passe dialectiques. Bien entendu il lui faut employer avec eux des procédés spéciaux de persuasion, mais ils ne le prennent jamais en défaut. Tantôt il met en pratique la méthode grâce à laquelle, moins d’un siècle plus tard, Socrate sur les places d’Athènes accouchait aussi les esprits[6] : feignant d’entrer dans les vues de son adversaire, par une série de questions pertinentes (« les Bouddhas n’en font jamais d’autres »), il le délogeait graduellement de ses positions dogmatiques et le forçait finalement à reconnaître son erreur. Tantôt, à la mode platonicienne, il inventait un « mythe », ou bien, comme le Christ, il parlait par paraboles ; et de ce conte comme de cette allégorie

  1. DhPC XV 1 ; Manual p. 317 ; Vie p. 190.
  2. AgbG fig. 252-3.
  3. DhPC xiii 6 et AgbG fig. 304. et cf. le bon larron de Luc XXIII 39-40.
  4. DA p. 402 ; DhPC XXI 8 et AgbG fig. 261.
  5. C’est la maitrî (p. mettâ) : ex. typique dans MVA VI 36, 4. Ce sont seulement les légendes du Nord-Ouest qui lui font user de la force de Vajrapâṇi pour convertir le Nâga Apalâla (AgbG fig. 272-5).
  6. MVA IV 1, 10. Sur la prédication du Buddha cf. Rhys Davids Dial. I p. 161 et 206 et Oldenberg p. 189 s.