Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/264

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Tel est l’un des rares exemples et préceptes de charité active — on est tenté de dire de charité chrétienne — que l’on puisse citer du Bouddha parfaitement accompli ; et encore ne voit-on pas que sa portée déborde le cercle étroit de la Communauté. Il est vrai que, mises en pratique, ses recommandations eussent transformé chaque ermitage en un paradis terrestre, si seulement tous les moines avaient été de petits saints. Mais nul n’a tenté de nous le faire accroire. Tout au contraire les Commentaires sont pleins d’histoires où le Bienheureux se voit contraint de réprimander et morigéner ses moines et de les rappeler aux bonnes manières, à la modération, voire même à la pudeur[1]. Il lui fallait en effet prendre grand soin de ne rien leur permettre qui pût scandaliser les laïques, ni choquer de front les vieilles coutumes universellement admises de l’ascétisme indien. Ainsi, bon gré mal gré, il dut, comme les autres chefs de secte, édicter de bonne heure un règlement détaillé de la vie monastique et prévoir des pénitences pour toutes les infractions qui viendraient à être commises, depuis la simple négligence dans la tenue jusqu’aux quatre péchés capitaux (luxure, vol, meurtre, et fausse prétention aux pouvoirs magiques) qui entraînaient l’exclusion de la Communauté. Les mauvais chenapans qui constituaient la « Bande des Six » — inventés tout exprès par les casuistes bouddhiques pour servir de pendant-repoussoir à la « Bande bénie des Cinq » — interviennent pour commettre successivement tous les méfaits imaginables et provoquer à chaque fois la promulgation d’une défense nouvelle, si bien que la liste des prohibitions contenues dans le « Formulaire de confession » (qui devait être chaque quinzaine récité en commun par chaque chapitre de moines) finira par compter plus de deux cents paragraphes. Mais que ce chiffre n’effraye personne : il y avait avec la règle des accommodements. On déclarait bien accepter en principe le statut traditionnel de la vie ascétique au sujet des « Quatre ressources[2] », c’est-à-dire des quatre seules choses de première nécessité que le religieux mendiant fût en droit de requérir ; mais en fait, on ne s’y conformait pas. Théoriquement le moine ne devait vivre que du produit de sa quête, ne se vêtir que de haillons ramassés dans les ordures et rapiécés ensemble, n’avoir d’autre abri qu’un arbre de la forêt et se contenter pour tout remède de « l’urine fétide » de la vache : mais le Bouddha permettait pratiquement aux siens d’aller dîner en ville, de recevoir en cadeau costumes et couvertures, de loger sous un toit et d’accepter toutes sortes de médecines. La meilleure partie des traités de discipline est ainsi consacrée à apporter des adoucissements à la règle beaucoup plus qu’à en renforcer la rigueur ; et comme tout ce qui n’était pas expressément interdit était considéré comme permis pourvu que les bienséances fussent respectées, les zélateurs laïques pouvaient donner pleine carrière à leur préoccupation constante d’épargner aux moines mendiants toute peine ou privation « qui ne conduisît pas au salut[3] ».

  1. DhPC IX 2 ; XII 2 et 8 ; XIX 10 ; XXI 3 etc.
  2. Ce sont le quatre nissaya ou niçraya.
  3. MVA VI 40 ; cf. supra p. 250.