Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/266

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au gré de ses contemporains, dans le sens de la facilité : qui songerait aujourd’hui à lui en faire reproche ?

Ce n’était d’ailleurs pas une tâche aisée que de faire régner la concorde et l’unanimité dans une Communauté instituée sur des bases aussi démocratiques. Des trois grands vœux monastiques qui sont de tradition en Europe : pauvreté, chasteté et obéissance, les adeptes des sectes indiennes, qu’elles fussent ou non brahmaniques, prononçaient bien les deux premiers, mais nulle part il n’est question du troisième. La raison de ce qui peut paraître un curieux manque de prévoyance était sans doute que dans l’Inde la soumission totale et sans réserve du disciple à la parole du Maître était, de mémoire d’homme, chose qui allait de soi. En fait comme en principe, le Bouddha était le souverain arbitre au sein de son ordre ; mais il est non moins certain que les membres de son ordre ne reconnaissaient pas d’autre autorité que la sienne. On conçoit aisément combien, au milieu d’une secte dépourvue de toute hiérarchie ecclésiastique et par ailleurs si dispersée, ce seul lien personnel, si prestigieux fût-il, pouvait à l’occasion s’avérer fragile. On ne nous cache pas que certains moines, surtout parmi ceux qui n’avaient été ordonnés que tard dans leur vie, supportaient impatiemment la direction, pourtant si douce, du Bienheureux. Au lendemain de sa mort, l’un de ces mécontents ne se serait-il pas écrié : « Bon débarras, mes amis ; le Grand çramane était tout le temps sur notre dos à nous dire : Il convient que vous fassiez ceci, il ne convient pas que vous fassiez cela. À présent nous ne ferons que ce qui nous plaira[1]. » Il suffisait d’un rebelle obstiné pour ébranler jusque dans ses fondements l’organisation de l’Ordre et faire éclater l’impuissance des seules armes spirituelles dont il disposât : car les menaces d’interdit et d’excommunication[2] ne produisent d’effet qu’autant que celui qui en est l’objet veut bien y attacher la même valeur que ceux qui les énoncent. Dès lors on comprend mieux pourquoi l’on redoutait tant et l’on blâmait si fort le péché qui consistait à provoquer un schisme : c’est qu’on ne connaissait à ce mal aucun remède, et c’est en vain que plus tard Açoka usera de son autorité impériale pour tenter d’en enrayer les progrès[3]. Le texte de son édit a été justement rajouté tout exprès sur un pilier érigé par lui à Kaouçambî, c’est-à-dire dans la ville même où s’était produit un cas de discorde particulièrement aigu et dont le souvenir s’est conservé[4]. Un des moines du lieu, par ailleurs savant et vertueux, avait commis ce que parmi ses confrères les uns considéraient comme une faute et les autres non : si bien qu’il se forma bientôt deux partis en désaccord sur ce point de discipline, et que, de discussions en disputes, le conflit alla vite s’envenimant. On entend d’ici les criailleries, car les moines n’étaient pas astreints à la règle du silence ; et ceux qui, pour être plus sûrs de n’en pas venir à se quereller entre eux, se l’imposaient à eux-mêmes, étaient sévèrement blâmés[5] pour avoir imité en cela

  1. CVA XI 1.
  2. Devadatta fut ainsi excommunié ; sur le cas de Channa v. ibid. X 1, 12 s. et cf. Dial. II p. 171.
  3. Sur le sangha-bheda v. Corpus Inscr. Ind. I p. 159 s.
  4. Tout le ch. X du MVA lui est consacré.
  5. MVA IV 1.