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— Mais, Seigneur, si elles vous parlent… ? — Alors il faut prendre bien garde à soi, ô Ânanda… » N’oublions pas que, lui aussi, s’était fait moine, et qu’en tout pays et en tout temps la gent monacale a professé que, de tous les pièges du Malin, l’éternel féminin était le plus redoutable, parce qu’il est le plus séduisant. Les femmes ne s’y sont jamais trompées ; et l’extrême sollicitude qu’elles ne manquent jamais de témoigner à ceux qui font profession d’avoir renoncé à elles procède sans doute d’un sentiment fort complexe où beaucoup d’admiration et de respect le dispute à quelque compassion ; surtout, qu’elles se l’avouent ou non, elles se sentent intérieurement flattées de l’hommage indirectement rendu au charme de leur beauté par la défiance qu’on leur marque, voire même par les injures dont on prétend les accabler. Craindre de les aimer, c’est avouer qu’elles sont aimables, et là-contre un Bouddha même ne peut rien.

L’indice personnel du Bouddha. — Est-ce trop de présomption que de prétendre tirer d’un examen aussi rapide et superficiel d’une littérature considérable une image suffisamment approchée de la longue carrière enseignante de Çâkya-mouni ? Il reste en tout cas que les textes reconnus comme les plus anciens nous la dépeignent telle qu’elle s’était fixée dans le souvenir de sa Communauté un ou deux siècles au plus après sa mort. Assurément nous n’avons plus guère dans le corps des Écritures bouddhiques, par morceaux détachés, que des discours diffus et traînants, et l’on ne saurait un instant les considérer comme autant de procès-verbaux authentiques d’entretiens qui furent si variés et durent souvent s’animer d’une vie si intense. Mais si la plante desséchée dans l’herbier perd sa couleur et son parfum, du moins sa silhouette demeure ; et nous croirions volontiers qu’il en est advenu de même pour tous ces contes, paraboles, homélies ou dialogues mis dans la bouche du Bienheureux. Quand après avoir été ressassés de mémoire ils furent couchés par écrit, ils avaient déjà perdu le meilleur de leur spontanéité naturelle, et c’est à peine si sur leur aridité fleurissent encore çà et là — d’autant plus appréciées par le contraste, tel le chardon bleu des sables — des stances d’une belle venue et qui ont gardé leur fraîcheur[1]. Néanmoins la délinéation générale de leurs contours subsiste, et, par suite, il n’est pas absolument chimérique de tenter d’esquisser la façon dont Çâkya-mouni, pendant la deuxième moitié de sa vie, a compris et rempli son office de Bouddha. On a osé à ce propos mettre en parallèle les Dialogues de Platon et ceux que nous ont transmis les rédacteurs du canon bouddhique[2]. La comparaison est écrasante pour ces derniers, mais elle n’est pas sans apporter une fiche de consolation à l’indianiste. Certes ce fut une grande chance pour la renommée de Socrate — qui, lui non plus, n’a rien écrit — d’avoir eu comme disciple un écrivain de génie ; mais quand ils voient la peine qu’ont les historiens de la philosophie grecque à distinguer dans ces magnifiques composi-

  1. Il s’agit du fameux recueil du Dhamma-pada.
  2. Rhys Davids Dial. I p. 207.