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tre les chronologues bouddhistes qui voulaient que le Bouddha fût mort le huitième jour de la seconde quinzaine du mois de karttika (octobre-novembre) considéraient sans doute qu’il avait dû se remettre en chemin, au départ de Vaïçâlî, dès la fin de la saison-des-pluies. D’autres lui accordaient un sursis de quelques mois et le laissaient séjourner à Vaïçâlî jusqu’au début de la seconde saison favorable au voyage, à savoir le printemps ; selon eux il ne serait mort qu’en vaiçâkha (avril-mai) de l’année suivante[1] ; mais leur but était évidemment de dater le quatrième Grand miracle du même mois que le premier. Ce détail, avec le temps, a beaucoup perdu de son importance et ne change d’ailleurs rien à la suite traditionnelle des événements.

La visite d’Adjâtaçatrou. — Quand le rideau se lève pour le dernier acte nous nous retrouvons une fois de plus transportés à la capitale du Magadha. La situation a de nouveau évolué : n’étant plus soumis à la néfaste influence de Dêvadatta, le roi parricide éprouve des remords de son crime et commence à redouter aux mains de son fils Oudâyibhadra le sort qu’il a lui-même infligé à son père et auquel, nous dit-on, il ne devait pas échapper à son tour. Ici se place un incident resté littérairement et artistiquement célèbre[2]. Les plus beaux clairs de lune de l’Inde sont ceux du début de l’automne, quand dans le ciel lavé de ses poussières par les pluies l’astre des nuits répand plus de lumière que n’en connaissent à la même époque de l’année bien des jours brumeux de nos pays. Le roi Adjâtaçatrou, en compagnie de sa cour, prend le frais sur sa haute terrasse le soir de la pleine lune d’octobre-novembre. Voyant la nuit si pure et sentant sa conscience si troublée, il soupire et se demande de quel saint brahmane ou çramane il pourrait solliciter et obtenir que lui soit rendue la paix du cœur. Bien entendu le rédacteur ne manque pas cette occasion de lui faire proposer tour à tour par ses ministres chacun des six maîtres hétérodoxes : mais le roi a déjà éprouvé leur insuffisance et ne se soucie pas de retourner auprès d’eux. Cependant son médecin Djîvaka garde le silence et c’est seulement sur un appel direct du monarque qu’il se décide à lui révéler que le Bouddha demeure en ce moment même dans son Parc-de-manguiers avec douze cent cinquante moines : « Que Votre Majesté aille lui rendre visite, et votre cœur retrouvera la paix. » Le roi donne aussitôt l’ordre de faire préparer cinq cents éléphants pour cinq cents de ses femmes, monte sur le sien et, à la lumière des torches, le cortège sort par la porte méridionale de la Ville-neuve de Râdjagriha. Il lui faut ensuite s’engager dans l’étroit défilé qui donne accès à l’enceinte de collines qui enserrait la vieille cité et tourner à gauche pour se rendre au Parc-de-manguiers du médecin ; et soudain le roi, n’entendant que le silence, se sent saisi de terreur : Djîvaka n’est-il pas en train de l’attirer dans un guet-apens ? Car comment s’expliquer que dans le voisinage d’une assemblée aussi nombreuse on ne perçoive

  1. Cf. Hiuan-tsang (J I p. 335 ; B II p. 33 ; W II p. 28). Les Sarvâsti-vâdin tenaient pour le mois de kârttika, les Thera-vâdin tiennent toujours à Ceylan pour le mois de vaiçâkha (JRAS New Series VII, 1875 p. 1). Cf. supra, à propos d’une divergence analogue, la note à p. 231, 44.
  2. Sur le Samañña-phala-sutta v. n. à p. 282, 17 ; sur les représentations de la visite d’Ajâtaçatru la n. à p. 254.