Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/309

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planter la vieille tradition. Et après tout, pourquoi pas ? Tant qu’une Église dure, n’est-elle pas, comme toute chose vivante, en constante évolution ?

La dernière étape. — Cependant, malgré l’état de faiblesse où il est retombé, le Bouddha reprend courageusement sa route : mais ses forces le trahissent bientôt. À moitié route entre Pâvâ et Kouçinagara il est contraint de faire halte au pied d’un arbre : « Allons, Ânanda, étends mon manteau plié en quatre ; je suis fatigué et je voudrais m’asseoir[1]. » Et, sitôt assis, il demande à son fidèle serviteur de lui apporter un peu d’eau pour calmer la fièvre qui le brûle. Mais cette fois, celui-ci, à notre grand étonnement, ne s’empresse pas de lui obéir. Il fait remarquer à son Maître qu’une caravane de cinq cents chariots vient de traverser le ruisseau le plus proche, et que l’eau en est restée trouble et fangeuse ; un peu plus loin coule, fraîche et pure, la rivière Kakoutsthâ où le Bienheureux pourra étancher sa soif et rafraîchir ses membres fatigués. Mais le Bouddha est pour l’instant incapable de bouger et insiste pour obtenir à boire. À la troisième requête Ânanda se décide enfin à descendre au ruisseau pour remplir son vase à aumônes : que dans l’intervalle l’eau en soit redevenue claire, nous en sommes moins surpris que lui.

À ce moment passe, se rendant à Pâvâ, un seigneur Malla, membre de l’oligarchie qui gouverne Kouçinagara. Le commentateur nous le donne comme le propriétaire de la caravane qui le précède[2]. Il engage la conversation avec le Bouddha. Il se trouve qu’il a été, lui aussi, disciple d’Alâra Kâlâma[3], et est resté fidèle à sa doctrine. Pour illustrer l’étonnante faculté d’abstraction des ascètes, il conte de but en blanc une anecdote relative à leur commun maître. Un jour qu’Alâra Kâlâma était assis en méditation au bord d’une grand-route, cinq cents chariots avaient défilé devant lui sans qu’il en eût la moindre notion, et seule la poussière dont ils l’avaient couvert en le frôlant lui attesta après coup leur passage. En réponse le Bouddha ne lui cache pas qu’une de ses expériences personnelles est bien plus extraordinaire encore. Il résidait alors près du village d’Atoumâ sous une grange[4] ; survint un violent orage, accompagné d’une pluie torrentielle, et la foudre en tombant tua à côté de lui deux laboureurs qui étaient frères et les quatre bœufs de leurs attelages ; mais la méditation dans laquelle il était plongé était si profonde qu’il ne vit et n’entendit rien. N’est-ce pas là un exploit supérieur à celui d’Alâra Kâlâma ? Émerveillé, le Malla en convient, prononce aussitôt sa profession de foi de fidèle laïque et, sans plus tarder, fait apporter par l’un de ses gens deux pièces d’étoffe « couleur d’or, lustrées et prêtes à mettre ». Le Bouddha consent à en accepter une pour lui-même et l’autre pour Ânanda, et le donateur princier poursuit sa route. — À quoi rime cet épisode[5] ? Est-ce un vieux souvenir traditionnel ? N’est-ce pas plutôt une interpolation destinée à préparer celle, beaucoup plus évidente, qui va

  1. C’est à tort qu’on traduit nisîdissâmi par « je voudrais me coucher » : dans le texte comme sur les bas-reliefs le Buddha ne se couche que pour mourir : cf. infra n. à p. 308, 35.
  2. Le pâli l’appelle Pukkusa, les Mûla-sarvâsti-vâdin Purṇa. Il ne paraît pas dans le BC. Cf. J. Przyluski JA 1909 p. 1918.
  3. Le même que l’Ârâḍa Kâlâpa du LV (supra p. 120).
  4. La Vie traduit bhusa-agâra par « hangar » ; Rhys Davids préfère « aire-à-battre » : mais bhusa en hindi a le sens général de « fourrage », d’où la traduction par « grange ».
  5. Przyluski a essayé de deviner les raisons des rédacteurs (ibid. p. 415 s.).