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tâche par trois fois de l’éconduire : « Assez, ami Soubhadra, n’importune pas le Prédestiné ; le Bienheureux est fatigué… » Mais celui-ci entend de son lit leur conversation et se montre jusqu’au bout accueillant pour les consciences sincèrement tourmentées : « Assez, Ânanda, ne renvoie pas Soubhadra. Tout ce qu’il me demandera, ce sera dans un dessein d’instruction et non d’importunité ; et tout ce que je lui dirai en réponse à ses questions, il aura vite fait de le comprendre. » L’entretien se résume, comme on pouvait s’y attendre, en une condamnation en bloc des doctrines des six maîtres hérétiques et une exaltation de la Bonne-Loi. Aussitôt converti que convaincu, Soubhadra demande à être reçu dans l’Ordre : mais on s’aperçut après coup que sa requête se heurtait à la règle qui, en cas de conversion d’un religieux hétérodoxe, imposait au récipiendaire un stage de quatre mois[1]. Toutefois le Bouddha, expert connaisseur d’âmes, aurait prescrit à Ânanda de l’ordonner sans plus attendre — faveur exceptionnelle et aussitôt justifiée par l’arrivée à la sainteté de celui qui en est l’objet : « C’est ainsi que le révérend Soubhadra devint l’un des saints ; ce fut le dernier des disciples convertis par le Bouddha en personne. » Plus tard on voulut même qu’il se fût refusé à survivre à son Maître et fût entré avant lui dans le Nirvâna. Mieux encore, on crut savoir que ce n’était pas la première fois que le Bienheureux avait ainsi procédé in extremis à son sauvetage. Déjà, dans une de ses naissances antérieures comme roi des cerfs, il avait en ce lieu même, au coût de sa vie, servi de pont à travers la rivière déchaînée aux animaux fuyant devant un incendie de forêt ; et le dernier fuyard à passer sur son échine avant qu’il ne fût entraîné et englouti par le courant n’était autre que ce même Soubhadra. Ce conte, qui a passé dans les Écritures tibétaines, a été également recueilli sur place par Hiuan-tsang[2] ; et là n’est pas la seule preuve que nous ayons de la grande popularité du dernier disciple : selon toute vraisemblance c’est Soubhadra, déjà revêtu du costume bouddhique, que nous devons reconnaître sur les représentations du Parinirvâna dans le moine régulièrement assis en méditation devant le lit de mort du Bouddha[3].

L’ultime trépas. — Cependant le jour va bientôt paraître, que Çâkya-mouni ne doit plus revoir. Il adresse encore quelques recommandations à Ânanda et convoque ses moines. Subsiste-t-il dans l’esprit de quelqu’un d’entre eux quelque doute ou quelque perplexité au sujet de la Doctrine ou de la Discipline ? Qu’il se hâte, avant qu’il ne soit trop tard, d’en référer au Maître. À la troisième sommation, tous persistent à garder le silence. Et alors le Bienheureux leur dit : « C’est à vous que je m’adresse, ô moines mendiants : la périssabilité est la loi des choses ; ne relâchez pas vos efforts ! Telles furent les dernières paroles du Prédestiné ! » Déjà l’agonie commence ; mais, comme bien on pense, un Bouddha ne peut pas mourir de simple épuisement physique ;

  1. Cette règle existait-elle du vivant du Buddha ?
  2. J I p. 337 ; B II p. 33 ; W II p. 29.
  3. Sur cette question v. AgbG II p. 259 s.