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la dépouille de Çâkya-mouni, comme le veut la coutume et comme l’exige le climat de l’Inde, est incinérée le jour même de son trépas. Dès lors il ne reste plus aux assistants d’autre tâche que de recueillir les reliques dans les cendres, ni d’autre soin que de se purifier par un bain rituel et de changer de vêtements avant de regagner leurs demeures : car tout cadavre est réputé impur et contamine qui l’approche.

Ainsi, ou à peu près ainsi, ont dû se dérouler les rustiques funérailles du Bouddha ; sinon, les blâmes infligés par la suite à Ânanda n’auraient eu ni fondement ni sens. Qui mieux est, nous tenons la preuve que l’Église bouddhique a longtemps cru que les choses s’étaient passées de cette modeste manière, si indigne qu’elle fût d’un Prédestiné. À présent que les reproches des docteurs nous ont donné l’éveil, nous décelons dans les textes maintes traces de cette croyance en dépit du souci que les hagiographes postérieurs ont pris de les effacer. Notre source principale avoue encore que la première idée des Mallas a été d’aller incinérer le Bouddha « au Sud et en dehors de leur ville » ; car le Sud est la région des Mânes, et un cadavre ne doit pas être introduit dans une cité ; il faudra tout à l’heure faire intervenir les dieux pour qu’ils consentent à parader le corps du Bienheureux à travers leurs rues. Une version tibétaine confie le transport de la funèbre civière à « des femmes et des jeunes gens ». Un texte sanskrit tardif admet encore que le Bienheureux n’a eu d’autre linceul que son costume monastique (il est vrai, multiplié par mille[1]). Une traduction chinoise reconnaît que le cadavre a été lavé avec de l’eau parfumée, et raconte un peu plus loin que, quand les pieds du Prédestiné sortirent miraculeusement de son cercueil pour recevoir l’hommage de Mahâkâçyapa, celui-ci remarqua que leur éclat avait été terni par des larmes féminines… Mais ce ne sont plus là que d’importuns souvenirs qui auraient dû être totalement éliminés de la légende. Sévères théologiens et dévots laïques s’étaient mis bientôt d’accord pour les bannir de leur mieux. La misogynie des premiers était trop véhémente pour consentir à ce qu’on eût laissé les femmes s’approcher du lit de mort du Bienheureux ; et comment les seconds auraient-ils pu continuer à croire que son corps, substance précieuse entre toutes, ait eu besoin d’être lavé et ait pu être un seul instant considéré comme impur ? Mieux valait laisser tomber deux des reproches traditionnellement adressés à Ânanda. Aux yeux des uns comme des autres, l’important était que, dans le cas des funérailles d’un être aussi exceptionnel que leur « plus que divin » Maître, rien ne se fût passé comme à l’accoutumée ; et c’est ainsi qu’à l’ancienne versio simplicior qui se laisse encore deviner est venue se substituer une verso ornatior qui, presque sur tous les points, en prend exactement le contre-pied.

Le point de départ essentiel de la tradition nouvelle nous est ingénûment révélé. Ânanda a pris la précaution de consulter le

  1. Avadâna-çataka (trad. L. Feer dans Ann. du Musée Guimet XVIII p. 430) ; cf. Przyluski JA 1918 p. 401 et 1920 p. 17 et 13.