Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/53

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tchandragomin, il se retourna poliment vers l’accouchée en s’informant si sa grossesse ne l’avait pas trop fatiguée. Celle-ci, frappée d’étonnement — ou peut-être trouvant qu’il posait des questions au-dessus de son âge —, le pria de se taire : et, par obéissance, il se tut pendant sept ans jusqu’au moment où un nouvel ordre de sa mère, impatientée de son mutisme, lui délia enfin la langue. C’est là du moins ce que nous conte l’historien tibétain Târanâtha ; mais nous-même n’avons-nous pas souvenir d’avoir lu dans la Légende dorée des histoires non moins merveilleuses de saints chantant déjà des psaumes dans le sein maternel.

Revenons à notre enfant-prodige. Les divers textes ne font le plus souvent que confirmer en sanskrit ou en prâkrit ce que nous avons lu en pâli. Toujours le Bodhisattva parcourt d’un seul regard l’univers entier et, en pleine connaissance de cause, se rend témoignage à lui-même ; toujours il fait sept pas vers le Nord et, pendant qu’il marche les insignes de sa royauté, parasol et chasse-mouches, l’accompagnent, soit qu’ils flottent d’eux-mêmes dans les airs, soit qu’ils soient portés par les dieux. Seule addition d’importance, des lotus, — ces lotus dans le calice desquels l’on n’a pas osé le faire naître — éclosent à présent sous chacun de ses pas. Le rédacteur du Lalita-vistara[1] a trouvé cela encore trop simple. Pourquoi l’Enfant-Bouddha se contenterait-il de marcher vers le Nord, alors que, d’après le rituel du sacre royal, le roi marche vers les quatre points cardinaux ? Et pourquoi ne ferait-il pas mieux encore puisque, comme chacun sait, il y a six points cardinaux en y comprenant le zénith et le nadir ? Non seulement il devra à présent faire sept pas vers chacun d’eux, mais encore il faudra qu’à chaque fois il prononce une parole contenant une allusion à la direction vers laquelle il marche. Comme les Indiens s’orientent en se tournant vers l’Est (et non, comme nous, vers le Nord ou, comme les Chinois, vers le Sud), l’Orient est pour eux le point cardinal qui est « devant » : donc le Bodhisattva commencera par faire sept pas vers le levant en déclarant qu’il est celui qui marche « en avant » de tous les gens de bien. Puis il se tournera vers la droite, c’est-à-dire vers le midi, et fera un autre jeu de mots, non moins insipide, sur dakshinâ qui signifié à volonté « droite », « Sud » et « offrande pieuse ». En allant vers l’Ouest, il profitera du fait que le mot sanskrit veut dire à la fois « ce qui est derrière » et « ce qui vient en dernier lieu » pour spécifier qu’il est parvenu à sa dernière renaissance. Du côté du Nord, qui pour les Indiens est « en haut », dans la montagne himâlayenne un calembour tout indiqué lui suggérera qu’aucun être n’est « plus haut » que lui. En faisant ensuite sept pas la tête inclinée vers la terre, il annoncera non seulement la défaite de Mâra, le Satan bouddhique mais encore le soulagement qu’apportera dans les Enfers la pluie bienfaisante de sa Loi[2]. Enfin, comme pendant ses sept derniers pas il a forcément le visage tourné vers le ciel, ce sera ainsi que tous les êtres devront désormais tenir leurs yeux levés

  1. LV p. 84-5.
  2. On a naturellement saisi là l’occasion de rappeler la descente du Christ aux Limbes et aux Enfers.