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MATHÉMATIQUE ET MÉCANIQUE UNIVERSELLES.

rien dans aucun lieu qui ne se change, et ce n’est pas dans la flamme seule qu’il y a quantité de parties qui ne cessent point de se mouvoir : il y en a aussi dans tous les autres corps ». Diderot se souviendra de cette pensée quand il dira : « Vous qui imaginez si bien la matière en repos, pouvez-vous imaginer le feu en repos ? » Il est étonnant que, de nos jours encore, il se trouve des philosophes pour rêver une matière immobile qui aurait eu besoin d’un moteur afin de se mettre en voyage dans l’espace. La matière, selon Descartes, ne pouvant ni se perdre ni se produire en dehors de l’action divine, son mouvement ne peut davantage « ni se perdre ni s’engendrer » ; ce Protée, sous ses transformations, se retrouve toujours le même.

Descartes suppose donc la matière sans bornes animée, depuis un temps indéfini, de la quantité de mouvement qu’elle possède actuellement, et il en tire cette conséquence d’une prodigieuse audace : « Quand bien même nous supposerions le chaos des poètes, on pourrait toujours démontrer que, grâce aux lois de la nature, cette confusion doit peu à peu revenir à l’ordre actuel… Les lois de la nature sont telles, en effet, que la matière doit prendre nécessairement toutes les formes dont elle est capable. » C’est le principe même de l’évolution. Principe si hardi et si hérétique qu’il scandalisait Leibniz, lequel, à propos de cette page, insinuait que Descartes « y montre son âme à nu ». De nos jours encore, combien de philosophes et de savants recu-